C’est un printemps précoce, précédé d’un sévère coup de gel. Le 22 janvier dernier, la ministre de la culture Rachida Dati lançait au cours de l’un de ses premiers déplacements le « Printemps de la ruralité », consultation nationale sur la place de la culture dans les territoires ruraux. Objectif : mieux répondre aux besoins de culture des 22 millions de Français qui vivent dans le monde rural – soit un tiers de la population – et repenser le rôle que l’État peut jouer en appui des collectivités locales.

Lancée à toute allure par la Rue de Valois, l’opération a visiblement suscité de l’intérêt. Le 1er mars, le ministère a indiqué avoir déjà reçu près de 25 000 réponses au questionnaire en ligne ouvert jusqu’à la fin du mois sur son site Internet. Las, cette floraison de contributions éclôt dans la plus mauvaise configuration budgétaire, au moment où le ministère de la culture vient d’être sommé par Bercy de faire 200 millions d’euros d’économies.

« Pas un euro ne manquera sur les territoires », a répondu par avance Rachida Dati, le 29 février, aux vives inquiétudes du secteur culturel. Pourtant son projet d’un redéploiement de la culture en monde rural, qui doit donner lieu à des « assises nationales de la culture en milieu rural », en avril, et à des annonces concrètes, risque de se heurter au mur des réalités financières. « Actuellement, presque 400 millions d’euros sont consacrés spécifiquement aux actions culturelles dans les communes rurales », évalue Noël Corbin, délégué général à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle du ministère de la culture.

Combattre les idées reçues

Malgré ce contexte austère, sur le terrain, les élus des communes rurales voient l’initiative favorablement. « C’est une consultation intéressante et nous faisons tout pour la soutenir », réagit François Descœur, maire d’Anglards-de-Salers, village de 700 habitants dans le Cantal, président de la commission culture de l’Association des maires ruraux de France (AMRF). L’élu met cependant des conditions à sa réussite. « Il faudra inventer du nouveau par rapport à ce qui existe déjà, prévient-il. Nepas regarder la culture à partir des dispositifs proposés par le ministère, mais s’intéresser en priorité aux initiatives locales. »

Promouvoir la culture en monde rural passera d’abord par le combat contre quelques idées reçues. « La France en dehors de Paris ne manque pas de culture, insiste ainsi Guy Saez, directeur de recherche émérite au CNRS et spécialiste des politiques culturelles. Ce qui est essentiel, c’est de ne pas plaquer un modèle de politique culturelle français qui a toujours été pensé depuis les grandes villes. » Autre nécessité, tenir compte de la diversité des terrains et de ruralités plurielles : « Il n’y a souvent pas grand-chose de commun entre un joli village de littoral ayant un patrimoine, un centre historique ou un château, et un de ces villages-rue, comme on en croise tant en France… »

Des propositions culturelles plus vertueuses pour l’environnement

« Le mieux serait de ne pas utiliser l’expression “déserts culturels”, conseille de son côté la géographe Claire Delfosse, professeure des universités à Lumière-Lyon 2, spécialiste des questions de culture en monde rural. C’est une notion ambiguë, stigmatisante, qui montre que l’on raisonne à partir de la carte des grands équipements culturels sans tenir compte de ce qui se vit localement. » Autre erreur répandue, le préjugé qu’il existerait un public rural dont la demande culturelle se distinguerait fortement du public urbain. « Le folklore, les veillées, l’idée qu’il y aurait des goûts culturels et des attentes culturelles propres aux ruraux, cela n’a plus cours », insiste le sociologue de la culture Emmanuel Négrier.

Une fois ce panorama dégagé, les spécificités de la vie culturelle en monde rural peuvent apparaître. L’offre y repose « très largement sur des tiers-lieux, des salles polyvalentes, des centres sociaux, des bars associatifs, des bibliothèques…, décrit Claire Delfosse. Elle dépasse souvent le cadre strict des activités culturelles, en mêlant la convivialité, l’attention à l’environnement, des problématiques sociales… ». Plus qu’en ville, les propositions sont fréquemment pluridisciplinaires, itinérantes et intermittentes, notamment en lien avec la saisonnalité des festivals. Elle se caractérise aussi par la forte présence de bénévoles.

Ces spécificités, qui rendent ce tissu culturel plus fragile, peuvent toutefois devenir des atouts. « Sur les enjeux de transition écologique ou les problématiques d’accès à la culture, le monde rural, qu’on a tendance généralement à considérer comme en retard par rapport au monde urbain, est en fait souvent dans une position plus favorable », relève Emmanuel Négrier. Plus modestes par nécessité, les propositions sont souvent plus vertueuses sur le plan environnemental dès lors qu’elles proposent de petites jauges à proximité immédiate des lieux de vie. Et la démocratisation culturelle est confortée localement par les rencontres que permettent les tiers-lieux et l’engagement des bénévoles et des acteurs associatifs.

Le niveau de diplôme, facteur déterminant d’accès à la culture

Tout l’enjeu du Printemps de la ruralité sera d’explorer de nouvelles pistes pour consolider ce maillage : soutien aux bénévoles et aux associations, à des réseaux culturels itinérants, aide à l’emploi des artistes, développement d’une stratégie de labels spécifiques… « Ce dont les maires ruraux ont d’abord besoin, c’est une aide en ingénierie culturelle, pour monter des projets, répondre à des appels d’offres, coordonner les acteurs, souligne de son côté François Descœur, à l’unisson de nombreux spécialistes. L’enjeu, c’est aussi de jouer avec l’expérimentation, pour voir ce qui marche vraiment. »

Reste que le défi de l’accès de tous à la culture, promis par Rachida Dati, dépasse la question de l’habitat et donc de la ruralité. Certes, la distance décourage les pratiques culturelles et l’éloignement des lieux de culture a un impact symbolique : « Quand on ne croise pas un lieu culturel dans sa vie quotidienne, le rapport à la culture est immédiatement distancié », relève Emmanuel Négrier. Mais, complète le sociologue, « toutes les grandes enquêtes culturelles le montrent, le premier facteur qui différencie l’accès à la culture est d’abord le niveau de diplôme. Même si on habite en zone rurale, celui qui est diplômé a plus de chance d’avoir accès à la culture que quelqu’un d’un faible niveau scolaire en zone métropolitaine ».

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Les loisirs culturels des champs

La bibliothèque est l’équipement culturel le plus présent sur le territoire, avec 15 700 lieux en 2021, répartis presque à parité entre les espaces urbains et ruraux. Les habitants des territoires ruraux à habitat dispersé ou très dispersé sont moins nombreux à les fréquenter que l’ensemble de la population (– 6 points).

Le cinéma, 2e équipement culturel de proximité, est présent sur l’ensemble du territoire, et un peu plus d’un quart (28%) sont situés dans les zones rurales. On observe un effet territorial discriminant pour les habitants en monde rural (– 6 points par rapport à la moyenne nationale).

Le musée est un équipement d’abord urbain, bien que 29 % soient situés dans le rural. C’est parmi les habitants des bourgs ruraux, des centres-villes intermédiaires et des petites villes que le taux de visite est le plus bas (23 %).

La sortie au spectacle est d’abord un loisir urbain déterminé par le capital culturel, mais quatre habitants sur dix de zones rurales à habitat dispersé ou très dispersé ont assisté à au moins un spectacle dans l’année.

Les festivals sont présents sur tout le territoire avec 7 300 festivals répertoriés. Cette pratique culturelle n’est pas discriminante pour les ruraux.

Source : Culture études « Loisirs des villes, loisirs des champs ? », ministère de la culture, mai 2023.