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AccueilAnna BeaugrandProposition de loi contre l'ultra fast fashion : vers des pénalités dissuasives

Proposition de loi contre l'ultra fast fashion : vers des pénalités dissuasives

Anna Beaugrand, juriste et élève avocate, nous entraine dans les coulisses de l’industrie de la mode. Loin des clichés d’une mode à très bon marché, voici dévoilée sa réelle teneur écologique et les moyens mis en œuvre pour lutter contre cette tendance.

Publié le 05/03/2024

Dans le monde de la mode, deux approches radicalement opposées coexistent aujourd'hui : le modèle traditionnel de la mode durable et éthique, et celui, plus récent, de la fast fashion, qui a évolué vers l'ultra fast fashion. Cette dichotomie reflète non seulement des différences dans les cycles de production et de consommation, mais aussi une divergence profonde dans les valeurs et les impacts environnementaux et sociaux associés à chacun de ces modèles.

Le modèle traditionnel de la mode se base sur deux collections principales : la collection printemps-été et la collection automne-hiver. Cette approche, héritée des maisons de couture de luxe, privilégie la qualité des matériaux, le soin apporté à la confection, le respect des cycles naturels et des traditions artisanales. Les adeptes de la mode durable et éthique cherchent non seulement à réduire l'impact environnemental de leur consommation, mais aussi à promouvoir des conditions de travail équitables dans l'industrie de la confection. Les collections sont pensées pour durer, encourager la consommation réfléchie et valoriser l'artisanat et les savoir-faire.

À l'opposé, la fast fashion est née de la volonté de l'industrie de la mode de s'affranchir des cycles traditionnels pour proposer de nouvelles collections tout au long de l'année. L'objectif est clair : augmenter la fréquence des achats en jouant sur l'attrait de la nouveauté et sur des prix bas ou abordables, par le biais d’un système de production de masse ; les conditions de travail souvent précaires dans les pays de production et l'impact environnemental significatif sont autant de critiques adressées à ce modèle.

L'évolution la plus récente et la plus extrême de cette tendance est l'ultra fast fashion, caractérisée par un renouvellement quasi quotidien des collections et une prédominance des ventes en ligne. Avec des prix défiants toute concurrence, des marques comme Shein dominent ce marché, repoussant les limites de la consommation de masse.

Dans une analyse publiée en mai 2023[1], l’association Les amis de la Terre montre qu’ « en 2022, 3,3 milliards de vêtements ont été mis en marché en France par la marque, soit plus de 48 vêtements par habitant·e. Elle a ajouté sur son site plus de 7 200 nouveaux modèles de vêtements par jour en moyenne en mai 2023, atteignant parfois 10 800 nouveaux modèles dans la journée. Cela représente au minimum 1 million de vêtements produits, soit entre 15 000 et 20 000 tonnes de CO2 émises chaque jour. »

Dans le monde, ce sont environ 130 milliards de vêtements consommés par an[2].

Cette approche, tout en rendant la mode extrêmement accessible, pose des questions urgentes sur la durabilité : la surproduction, la gestion des invendus, l'impact sur l'environnement de tels volumes de production et de distribution.

Le péril écologique de la fast fashion et de l’ultra fast fashion

Au cœur des enjeux environnementaux contemporains, l'industrie du vêtement se distingue comme la deuxième source de pollution la plus importante après le secteur pétrolier. Cette réalité alarmante s'ancre dans une consommation effrénée et des processus de production qui marquent profondément notre planète.

En effet, la fabrication de vêtements consomme à elle seule 4 % de l'eau potable disponible mondialement, soulignant une utilisation des ressources naturelles à la fois intensive et insoutenable. La prévalence des fibres synthétiques, reconnues pour leur impact polluant tant au niveau de leur production que de leur entretien, aggrave encore cette situation.

L'empreinte carbone de cette industrie est tout aussi préoccupante. Alors que ce secteur contribue significativement aux émissions mondiales de gaz à effet de serre avec 1,7 milliard de tonnes de CO2 par an[3], soit plus de 10 % des émissions de gaz à effet de serre mondiaux[4], elle surpasse ainsi les émissions combinées des vols internationaux et du trafic maritime[5].

Ce bilan carbone désastreux s'explique non seulement par les distances considérables parcourues par les articles vestimentaires, mais aussi par la surconsommation de produits bon marché, souvent de piètre qualité et chargés de substances nocives pour la santé humaine et les écosystèmes aquatiques.

L'Ademe[6] souligne que 20 % de la pollution des eaux à l'échelle globale peut être attribuée aux teintures employées par le secteur textile, une statistique qui révèle l'ampleur des dégâts environnementaux liés à nos garde-robes. Il a été relevé que des chaussures commandées sur les plateformes de fast fashion sont traitées aux phtalates, un perturbateur endocrinien ou encore un vêtement pour bébé traité au formaldéhyde, potentiellement cancérigène pour les enfants.

Au-delà de la pollution des eaux et de l'air, l'industrie du vêtement contribue également à un cycle incessant de déchets. La surproduction de vêtements de mauvaise qualité mène à une accumulation rapide de déchets textiles, posant des défis majeurs en termes de gestion et de traitement pour limiter leur impact sur l'environnement.

Au Chili, 59 000 tonnes de textiles arrivent chaque année dans le port d’Iquique puis sont transportées par camion à Atacama, le désert le plus sec du monde. La décomposition chimique de ces textiles enfouis sous terre ou laissés à l'air libre, peut prendre des dizaines d'années et pollue l'air et les nappes phréatiques, en raison notamment des produits chimiques qu’ils contiennent[7].

Le Ghana aussi est complètement inondé par un arrivage massif des quelques 160 tonnes de vêtements de seconde main en provenance de l'Occident. Cette marchandise n’est pas exploitable en raison de sa mauvaise qualité et échoue dans des décharges sauvages à ciel ouvert ou dans la mer, polluant durablement l'environnement[8].

Face à ces constats, il devient impératif de ralentir le développement de ces marques.

Une nouvelle proposition de loi pour freiner ces marques dévastatrices

En 2020, la loi AGEC[9] (« Anti-gaspillage pour une Économie Circulaire ») promulguée le 10 février, a introduit l’article L541-10 du code de l’environnement, selon lequel :

« La fabrication, la détention en vue de la vente, la mise en vente, la vente et la mise à la disposition de l'utilisateur, sous quelque forme que ce soit, de produits générateurs de déchets, peuvent être réglementées en vue de faciliter la gestion desdits déchets ou, en cas de nécessité, interdites. »

La fast fashion et l’utra fast fashion entrent indéniablement dans la catégorie visée ci-dessus des fabricants qui mettent en vente des produits générateurs de déchets.

Bien qu’abordée dans l’article ci-dessus, l’interdiction apparaissant comme une solution inenvisageable, cette loi met en place des contributions financières qui peuvent être ajustées sous forme de bonus pour récompenser les pratiques favorables à l'environnement ou de malus pour pénaliser les comportements moins vertueux.

En outre, la loi impose aux producteurs de transférer leurs obligations environnementales à un éco-organisme afin de centraliser et rendre efficace la gestion des déchets.

En cas de non-respect des obligations légales, les éco-organismes peuvent soumettre le producteur à des sanctions financières. Cela comprend le non-respect des critères d'agrément, la défaillance dans la reprise des déchets, ou le manquement aux plans de prévention et d'éco-conception.

Néanmoins, l'éco-organisme est tenu de limiter le montant de la pénalité à 20 % du prix de vente hors taxe de son produit, celle-ci est donc la pénalité maximale qui puisse être prononcée par lui[10].

Avec des prix dérisoires allant jusqu’à deux ou trois euros, un article de la marque Shein coûte en moyenne sept euros, une pénalité de 20 % sur un tel article représente une pénalité de 1,4 euros.

Ce n’est pas assez dissuasif.

Face à ce constat, le député de la Loire Antoine Vermorel-Marques a déposé mardi 13 février 2024 une proposition de loi proposant un système de bonus-malus pouvant aller jusqu'à cinq euros par pièce pour certaines entreprises, qui mettent sur le marché plus de 1 000 nouveaux produits par jour. Ce système correspondrait à une exception à la règle précédemment établie, qui limitait la prime ou la pénalité à 20 % du prix de vente hors taxe d’un produit relevant du REP. Dans le cas où la prime ou la pénalité est calculée sur la base du nombre de nouveaux modèles introduits quotidiennement par le producteur, cette limitation de 20 % n'est plus applicable.

Concrètement, si un producteur dépasse le seuil de 1 000 nouveaux modèles par jour, ses contributions financières seront modulées en conséquence. Ce mécanisme vise évidemment et directement les marques d’ultra fast fashion

Avec plus de 7 000 nouveaux produits par jour, Shein serait immanquablement frappée par le système de malus.

Cette nouvelle pénalité proposée apparait plus adaptée et dissuasive puisqu’elle représente plus de 70 % du prix moyen (sept euros) d’un article de la marque et le double du prix de certains articles proposés par Shein.

Cette taxe représenterait une réelle pénalité pour les fabricants et mettrait en péril la rentabilité économique des entreprises de la mode jetable, qui se verraient contraintes de réduire la prolifération de nouveaux modèles.

 

Anna Beaugrand

Juriste en droit de l'environnement et actuellement élève avocate chez DS Avocats.

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[1] Les amis de la Terre France, La mode surchauffe : on a décrypté l’impact et le modèle de Shein, 22 juin 2023.

[2] OXFAM, L’impact de la mode : drame social, sanitaire et environnemental, 24 septembre 2020.

[3] Rapport du WWF sur l’industrie de l’habillement et des textiles.

[4] OXFAM, L’impact de la mode : drame social, sanitaire et environnemental, 24 septembre 2020.

[5] Parlement européen, Production et déchets textiles : les impacts sur l’environnement (infographies), publié le 29 décembre 2020.

[6] Kant, R., Textile dyeing industry: An environmental hazard, Natural Science, Vol. 4, 1 (2012), p.23.

[7] EL PAÍS, Un Basurero de Ropa en el desierto de Chile, 2022.

[8] Le Monde, Le Ghana, poubelle de la « fast fashion » mondiale, publié le 20 mai 2023.

[9] LOI n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire.

[10]Article L541-10-3 du code de l’environnement.

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