Ce sont elles qui « tiennent la campagne », pour reprendre le titre de l’enquête de Sophie Orange et Fanny Renard (La Dispute, 2022). Les sociologues y montrent à quel point l’organisation des territoires ruraux repose en grande partie sur « une bande de femmes » qui, face au retrait de l’Etat social, tiennent tous les services essentiels : de l’enfance (Atsem, AVS…) au grand âge (aides à domicile…), en passant par les collectivités (secrétaires de mairie…). Pourtant, force est de constater que les 11 millions de femmes vivant en milieu rural (soit une sur trois, selon l’Insee) demeurent non seulement invisibilisées, mais bien souvent oubliées des pouvoirs publics, lents à prendre la mesure de leurs besoins spécifiques.
Leurs obstacles sont pourtant nombreux, et cumulatifs : un accès plus compliqué à l’emploi, à la formation, aux services publics, aux modes de garde ; du renoncement aux soins face à des déserts gynécologiques et médicaux, de l’isolement face aux violences conjugales, des emplois souvent précaires… Difficultés pouvant être accentuées par des moyens de mobilité réduits : alors que la voiture représente 80 % des déplacements en zone rurale et y constitue souvent un critère d’embauche, seules 80 % d’entre elles sont détentrices du permis de conduire, contre 90 % des hommes, alors que les transports publics manquent et sont peu adaptés à leurs besoins (enchaînements de trajets, sièges enfants…).
Un « cumul des inégalités de genre et des inégalités territoriales » sur lequel alertait, fin 2021, un rapport de la délégation aux droits des femmes (DDF) du Sénat (Femmes et ruralités : en finir avec les zones blanches de l’égalité) formulant 70 recommandations allant des transports à l’orientation scolaire. Au départ, un constat : aucune des 181 mesures de l’Agenda rural présenté par le gouvernement au sortir de la crise des « gilets jaunes » ne s’adressait aux femmes. Une lacune qu’avait reconnue le secrétaire d’Etat à la ruralité de l’époque, Joël Giraud.
« Manque de vision globale »
Trois ans plus tard, où en est-on ? « Loin du compte », répond la vice-présidente (Union centriste) de la DDF du Sénat, Annick Billon, qui, si elle salue des avancées parcellaires, regrette « un manque de vision globale ». Au rang des avancées, elle cite le travail gouvernemental pour lutter contre les violences intrafamiliales, le manque de transport « mieux pris en compte par les collectivités » alors que la mobilité conditionne l’accès à tous les droits, ou l’élargissement des compétences des sages-femmes (pouvant désormais pratiquer l’IVG instrumentale, sous condition).
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