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Valérie Brusseau, présidente de l’association Elles Bougent : « L’industrie de demain ne se fera pas sans les femmes »

À l’heure de la réindustrialisation, l’industrie reste un secteur où les femmes sont sous-représentées, alors que de nombreuses initiatives voient le jour pour répondre à ce défi. Dans cette tribune, Valérie Brusseau, présidente de l’association Elles Bougent, revient sur l’importance de la place des femmes dans l’industrie.

Publié le  07/03/2024

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Le défi majeur auquel l’industrie française est confrontée est moins technologique que sociétal : il concerne la place qu’elle accorde aux femmes. Dans un contexte où celles-ci représentent 54 % de la population française, il est paradoxal de constater qu'elles ne constituent que 30 % des effectifs dans l'industrie. Pourtant, les chiffres ne mentent pas : lorsque la proportion de femmes dans une entreprise dépasse les 20 %, son efficacité opérationnelle augmente de 30 %. C'est un fait avéré et démontré par différentes études académiques.

Alors, pourquoi cette sous-représentation persistante dans un secteur aussi stratégique pour notre économie ?

Qu'ils soient familiaux ou sociétaux, les stéréotypes de genre ont la dent dure et jouent un rôle crucial dans la perpétuation de cette sous-représentation des femmes dans l'industrie. Malgré les preuves factuelles de l'impact positif de la diversité des genres sur la performance des entreprises, ces stéréotypes persistent et influencent les décisions de recrutement et de promotion. Lorsque les équipes sont constituées d'hommes d’une quarantaine d’années issus d'un même microcosme, des mêmes écoles, le risque est grand de reproduire les mêmes schémas.

Même si les compétences, leur acquisition et le leadership ne sont pas des questions de genre - tout comme le talent d’ailleurs -, il est indéniable que les femmes doivent encore faire face à des obstacles importants pour accéder à des postes de responsabilité dans l’industrie et être pleinement reconnues pour leurs compétences.

Ingénieure de formation, j'ai moi-même évolué dans des environnements professionnels très masculins. Après des expériences dans le spatial, j’ai évolué pendant une vingtaine d’années dans l’automobile chez Renault où j’ai dirigé plusieurs directions métiers, avant de rejoindre il y a deux ans l’équipementier Valeo. En tant que directrice R&D, je dirige aujourd’hui un pôle de 150 personnes sur quatre continents. 

Ces secteurs, en particulier l’automobile, sont des industries très « genrées », pensées par des hommes, pour des hommes. Mon parcours est un témoignage de cette réalité. Au sein de mon comité exécutif en R&D, je suis la seule femme. Dans l’industrie, des femmes, on en retrouve aux ressources humaines, dans la communication ou le marketing, des fonctions certes importantes mais connexes. Plus rarement dans des fonctions technologiques au cœur du réacteur de la stratégie de l’entreprise.

Cette réalité souligne l'urgence d'agir pour promouvoir la diversité des genres dans l'industrie française. C'est pourquoi il est essentiel de mettre en œuvre des mesures concrètes très en amont pour briser les barrières qui entravent l’accès des femmes aux métiers de l’industrie et à des postes à responsabilité.

C'est dans cette optique que, convaincue que la diversité des genres est une chance pour l'industrie, j'ai décidé de m'engager activement au sein de l'association Elles Bougent dès sa création en 2005, d’abord en tant que marraine, avant d’en accepter récemment la présidence. 

Au sein de Elles bougent, ce sont aujourd’hui 10 000 marraines, des femmes ingénieures en poste de tous horizons, animées par une ambition commune : rencontrer les jeunes filles dès l'école primaire pour leur prouver, par leur propre exemple, qu'il est possible de réussir dans les métiers scientifiques, techniques et technologiques. Malgré une aptitude égale à celle des garçons, moins de la moitié d'entre elles s'orientent en effet vers des études supérieures dans ces secteurs.

C'est une situation que nous devons changer. Il faut continuer de combattre les idées reçues. Les filles peuvent faire autant de mathématiques que les garçons, mais encore faut-il qu’elles aillent contre les stéréotypes, qu’elles aient envie d’y aller et qu’elles puissent s’identifier à des rôles modèles. À titre personnel, je n’aurais peut-être pas eu la même trajectoire professionnelle si je n’avais pas eu moi-même un rôle modèle pour me montrer que j’avais les capacités pour le faire.

Les résultats obtenus par Elles Bougent sont encourageants : avec notre réseau de marraines et nos 330 partenaires (entreprises de tout secteur industriel, établissements scolaires et organisations patronales comme celles de la métallurgie et de l’aéronautique), nous avons organisé pas moins de 700 événements en 2023 et touché 40 000 jeunes filles (écolières, collégiennes, lycéennes). La féminisation des écoles d’ingénieur se poursuit. Quand j’étais étudiante, nous étions seulement 3 % de filles. Aujourd’hui, en fonction des filières, on peut atteindre jusqu’à 30 %. À ce titre, nous prévoyons d’ailleurs de mettre en place un observatoire afin de mesurer le chemin parcouru. 

Parce que les enjeux de mixité, de féminisation des équipes, de recrutement des entreprises du CAC 40 vont bien au-delà de nos frontières, notre objectif est aussi d’étendre notre action à l’international, avec l’idée de partager mutuellement nos bonnes pratiques avec les autres pays. Alors que les attentes de la génération Z se font fortes au niveau de l’équilibre des temps entre vie professionnelle et personnelle, la question de la parentalité s’annonce également comme un enjeu d’avenir pour notre association

Si par son action Elles Bougent contribue à faire bouger les lignes, à faire évoluer les mentalités et les représentations de l’industrie, nous devons sans relâche aller toujours plus loin collectivement.

L'industrie française doit se donner encore plus les moyens de favoriser une réelle égalité des chances. Les chantiers sont nombreux.

Il est tout d’abord crucial de repenser les processus de recrutement et de promotion pour garantir une équité entre hommes et femmes, en recevant en entretien autant de profils féminins que masculins. Un important travail est à mener sur ce plan avec les cabinets de recrutement, au niveau du sourcing. En amont, cela suppose qu’il y ait davantage de filles qui aillent dans les filières scientifiques. Et la récente réforme du Bac n’y a pas aidé. Le fait de n’avoir plus rendu obligatoires les mathématiques en Première jusqu’il y a peu encore a fait revenir le nombre de femmes scientifiques à 45 %. Un véritable bond de vingt ans en arrière.

Il faut expliquer aux entreprises que les jeunes femmes sont des talents comme les autres, tout en convaincant les femmes elles-mêmes qu'elles ont leur place dans l'industrie. Souvent, malgré des études en ingénierie, elles décident de ne pas poursuivre une carrière dans ce secteur. Ainsi, il est essentiel que ces entreprises travaillent sur leur marque employeur pour développer leur attractivité auprès d’elles.

Dans les processus de recrutement, il est également important de démontrer aux femmes que les carrières dans l’industrie ne sont pas genrées, soulignant ainsi que, homme ou femme, chacun peut continuer à progresser dans l’entreprise. Il faut repenser les parcours de détection, de recrutement et d'accompagnement des femmes tout au long de leur carrière, en collaboration étroite avec les ressources humaines. Les femmes sont trop souvent détectées tardivement dans leur carrière, autour de la trentaine, notamment lorsqu'elles ont des enfants.

Il faut changer les mentalités des entreprises pour que dans les plans de succession et de développement, les femmes y soient inscrites. Un important travail doit par ailleurs être mené afin d’assurer la parité au sein des comités exécutifs.

Beaucoup de chemin reste donc encore à parcourir, mais soyons-en certains, l'industrie de demain ne se fera pas sans les femmes. Dans un contexte de décarbonation, d'intelligence artificielle, de digitalisation et d'industries vertes, leur présence sera plus que jamais indispensable. Pour sa part, Elles Bougent entend pleinement s’ouvrir à ces nouveaux secteurs et continuer à créer des vocations parmi les jeunes filles et les jeunes femmes.

La féminisation est un levier de compétitivité et de performance pour les entreprises. Aujourd’hui, un nombre croissant d'entreprises intègrent ces enjeux de diversité et de mixité à leurs indicateurs, les considérant comme un atout pour leur activité et leur marque employeur. Il est crucial que cette dynamique adoptée par les grands groupes du CAC 40 s'étende également aux PME, qui constituent une composante majeure du tissu industriel français.

Face à ces enjeux, à nous d’intensifier collectivement nos efforts pour éduquer, inspirer et encourager les femmes à poursuivre des carrières dans des domaines techniques et scientifiques dans l’industrie. À nous aussi de continuer à travailler avec les ministères, les organisations de référence, les associations qui œuvrent pour cette cause. À nous de nous unir pour sensibiliser encore plus l’opinion publique, et de rendre le contexte légal encore plus incisif. Il ne faut surtout pas baisser pavillon et continuer à nous battre.
 

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