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Les artisans-ingénieurs de la tech au cœur des métiers d'art

L’IA est-elle au coeur des métiers d’art ?
L’IA est-elle au coeur des métiers d’art ? Studio MTX

Pour créer, la main, virtuose, est sacrée. Mais l'IA et l'innovation technologique, conjuguées aux savoir-faire, repoussent encore les limites de l'excellence.

Selon un rapport du Fonds monétaire international (FMI) publié en amont de la 53e édition du Forum économique mondial de Davos, qui s'est tenu en Suisse du 15 au 19 janvier derniers, l'intelligence artificielle (IA) aura des conséquences pour 60 % des emplois dans les économies dites «avancées.»

Si ce chiffre sur le marché du travail mondial semble inquiéter les chefs d'État et les grands patrons dans la chic station des Alpes suisses, tout n'est pas négatif, a assuré Kristalina Georgieva, la directrice générale du FMI : «L'IA peut faire peur, mais cela peut être également une immense opportunité pour tous.» Car si la technologie suscite la méfiance, notamment par le remplacement de certaines branches professionnelles, le sens de la tech fait aussi naître de nouveaux métiers. Et surtout de nouvelles vocations. «La crise du Covid est venue questionner le rapport que l'on a aux objets en déclenchant une envie de consommer mieux, avec un souci de durabilité et d'éthique aussi, explique Alexandre Boquel, directeur des métiers d'excellence chez LVMH. Et c'est donc tout naturellement qu'elle a redonné une nouvelle noblesse aux métiers d'artisanat, qui étaient souvent relégués au second plan.»

Des artisans-ingénieurs

En parallèle de cette prise en compte du consommateur de la chaîne de valeur, de nombreuses personnes se sont replongées ces dernières années dans les métiers de la main, avec cette idée de les faire grandir différemment, durablement, grâce à l'innovation. «Aujourd'hui, l'ordinateur est autant un outil qu'une pince à sertir, précise Mathieu Bassée, directeur artistique de Studio MTX, le département dédié à l'architecture du brodeur haute couture Montex, labellisé métier d'art de la maison Chanel. Chez MTX, la broderie architecturale passe, quoiqu'il arrive, par l'outil numérique. Quand on réalise entièrement à la main des œuvres aussi monumentales qu'une claustra de sept mètres de haut sur plusieurs dizaines de mètres de longueur (soit 300 mètres carrés de broderie) pour habiller l'espace d'un paquebot, il est impensable de ne pas présenter aux clients le projet modélisé en 3D grâce au numérique.»

En 2024, illimitée en possibilités, la tech serait donc plus que jamais au service de l'artisanat. Il est important de rappeler la définition de l'artisanat. Selon Alexandre Boquel : «Il est l'addition de deux compétences : d'un côté, un esprit créatif et sensible, soit tout ce qui va amener un supplément d'âme aux objets ; de l'autre, la technicité et tout ce qui s'additionne au niveau technologique, avec la virtuosité du geste, son apprentissage et sa maîtrise. C'est vraiment l'addition de ces deux-là qui crée tous ces métiers de créatifs et de techniciens, ces savoir-faire qui demandent des qualités de rigueur, de minutie, d'organisation, de curiosité et de patience.»

Broderie baptisée Le Château des Dames, Métiers d'art 2020-2021, Chanel. Instagram @ateliermontex

C'est un fait, les métiers de la main ont toujours été liés aux nouvelles technologies. Il ne faut pas oublier que les artisans n'ont pas attendu les machines pour inventer leurs propres outils. «Depuis toujours, dans les ateliers, les artisans façonnent et mettent à leur main leurs propres instruments, atteste Mathieu Bassée. On appelle ça la nécessité du faire. De nos jours, des modeleurs 3D créent dans leur logiciel leurs outils de conception et de modélisation. Ils ne sont pas avec des manches en buis et une pointe en acier, mais ce sont bel et bien des outils de travail. Mais attention… cela ne remet absolument pas en question la main sacrée. C'est parce qu'ils sont experts que les doigts de l'artisan vont réussir à s'approcher au mieux de ce que le numérique permet de faire.» Depuis la nuit des temps, les artisans cumulent donc les casquettes d'ingénieur et de faiseur, des têtes pensantes pour imaginer et concevoir l'objet parfait. «Les savants de la Renaissance, à l'exemple de Léonard de Vinci, se définissaient d'ailleurs comme artiste-artisan-ingénieur, confirme Alexandre Boquel. Et Le Corbusier disait même : “La tradition est la chaîne ininterrompue de toutes les novations.” Comprendre : ce qu'on invente aujourd'hui, c'est l'artisanat de demain.»

Révolutions technologiques

Le plus grand défi de l'artisanat ? Séduire les jeunes. Mais pour cela, il est nécessaire de casser tous leurs préjugés et autres idées préconçues. «Dès qu'on leur parle de ces métiers, ils ont tout de suite en tête une image du passé, de savoir-faire ancestraux transmis de génération en génération et des gestes fossilisés dans la pratique, analyse Alexandre Boquel. La génération Z doit comprendre que la création de demain est le cœur de ces professions. Chez LVMH, chaque maison a sa propre unité d'innovation. Par exemple, en plus d'être associé à une fonderie, l'horloger Hublot possède son laboratoire métallurgie et matériaux. Cette cellule recherche et développement a notamment permis d'aboutir au Magic Gold, soit le premier or au monde inrayable.» Pour la joaillerie, on est désormais capable, grâce à des programmes de conception assistée, de créer des bijoux de façon numérique. Certaines pièces sont même intégralement conçues grâce à l'impression 3D. Côté broderie, l'emblème des métiers de savoir-faire et surtout l'un des plus anciens du patrimoine de l'humanité, l'innovation est également omniprésente. Des paillettes en polyester, des perles en verre, des tissus synthétiques ou naturels… Chaque année, ce sont des dizaines de milliers de références qui sont utilisées dans les ateliers des artisans brodeurs.

Prototype d'applique murale à la Paris Design Week 2023 chez Féau Boiseries. Studio MTX

Le problème ? Aujourd'hui, on ne peut plus travailler près de 90 % des éléments utilisés par le passé… Certaines formes de plastique sont désormais interdites, des matières toxiques sont également éradiquées… Les règles sanitaires sont de plus en plus strictes et imposent un cahier des charges très rigoureux. «Si certains créateurs y voient une contrainte, d'autres s'en servent pour stimuler toujours plus leur créativité, et donc réinventer quelque chose de nouveau, continue Alexandre Boquel. C'est d'ailleurs comme cela que l'on a introduit les imprimantes 3D dans l'univers de la broderie. Grâce à ces machines, on peut créer à la demande des formes spécifiques avec de nouveaux matériaux, tels que des perles en composite de maïs. On a aussi intégré le placement par ordinateur. Avant, tous les motifs étaient dessinés à la main sur les vêtements, avec pour certains un geste pénible et redondant.» Si le travail de l'artisan est ici facilité, soulagé, cela lui permet aussi de se dégager du temps pour développer ses activités ou de travailler sur d'autres plateformes.

Imaginer le monde de demain

Si le secteur se distingue par sa créativité, il n'en oublie pas moins de briller par son dynamisme. Preuve : avec plus de 60 000 entreprises et 150 000 professionnels, les métiers de la main jouent un rôle majeur dans l'économie française. Plisseurs, brodeurs, orfèvres, bottiers, patronniers, modistes, gantiers, mais aussi horloger, céramistes, tailleurs de pierre, joailliers, diamantaires, charpentiers ou ébénistes… En 2019, les métiers d'art (la loi française en liste deux cent quatre-vingt-un) ont généré un chiffre d'affaires de 19 milliards d'euros, dont 8 milliards provenant des exportations. Le secteur représente un véritable patrimoine vivant, reflétant la richesse et la diversité des savoir-faire français.

Réalisation de l'atelier Montex pour Collection Latil. Instagram @ateliermontex

Mais le vrai problème est l'absence d'une structure claire en tant que filière, ce qui limite donc sa visibilité et sa reconnaissance. Le gouvernement a donc récemment mis en place une nouvelle stratégie nationale en sa faveur. L'initiative, portée par les ministères de la Culture et du Commerce, de l'Artisanat et du Tourisme, vise à renforcer son soutien au secteur (340 millions d'euros seront consacrés par l'État à l'artisanat d'art pour la période 2023-2025) à travers des mesures concrètes, telles que la valorisation des métiers d'art auprès des jeunes, la formation et la transmission, l'ancrage au cœur des territoires ou encore le soutien à la recherche, l'innovation et la création. Avec toujours le même objectif : imaginer le monde de demain.

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