Alors que les investissements publicitaires dans le retail media continuent à enregistrer des records, le secteur se structure, les acteurs se professionnalisent et les usages évoluent. Un article également disponible en version audio.

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Dans un marché de la publicité digitale en croissance (+9 % en 2023, selon le SRI), le retail media s’impose comme l’un de ses principaux relais de croissance (+24 %, après une année 2022 à +32 %). Les produits sponsorisés ont clairement le vent en poupe sur les sites e-commerce, mais pas seulement. La publicité numérique suivant le parcours d’achat du consommateur ne se limite plus aujourd’hui aux seuls sites marchands. Elle s’étend sur l’ensemble du web, les réseaux sociaux, jusqu’à l’intérieur des magasins eux-mêmes avec les panneaux numériques. En pleine croissance, le retail media est aussi en phase de transformation. Quelles sont les tendances qui vont marquer le secteur en 2024 ?

- Un secteur qui se structure

Si le mouvement est engagé depuis plusieurs années, la tendance à la professionnalisation et à la spécialisation va se poursuivre. Le secteur de la grande distribution est, naturellement, le premier à avoir créé ses régies spécialisées pour commercialiser ses espaces publicitaires (Retailink chez Fnac-Darty, Infinity Advertising pour Casino et Intermarché, puis Retailium Media du côté de But et Conforama, ou Valiuz Adz chez Auchan). Mais les grandes manœuvres ont réellement démarré lorsque les « majors » de la publicité ont investi ce segment dynamique.

En juin 2023, Publicis et Carrefour dévoilaient leur joint-venture Unlimitail aux ambitions internationales. En septembre, Havas et l’adtech Mirakl annonçaient un partenariat stratégique. Des rapprochements motivés par la dynamique du secteur, mais aussi par l’omnipotence d’un acteur, Amazon, qui truste près de 80 % des investissements en retail media, alors que sa part de marché dans l’e-commerce est inférieure à 20 %. « Nous avons tous besoin de nous rapprocher pour pouvoir rester en compétition face à Amazon », résume Kristina Raptovaia, responsable des partenariats et de la publicité de Rakuten France.

« La tendance est à une concentration du marché entre quatre ou cinq grands retail media networks, analyse quant à lui Marc Fischli, managing director EMEA de Criteo. Amazon et Google resteront quoi qu’il arrive. Ce qui ne laisse de la place que pour deux ou trois autres grands acteurs… » Criteo entend bien être de ceux-là. Mais tout le monde ne voit pas les mouvements en cours comme une consolidation du secteur, au contraire. « On est encore dans une logique de fragmentation du marché », analyse Véronique Pican, managing director France d’Equativ, qui vient de lancer une offre d’extension d’audience en retail media off-site. « Autant les enseignes sont en phase de consolidation, autant on assiste à une multiplication des acteurs tech au cœur de l’activité retail media », relève-t-elle.

Sans compter les médias traditionnels, qui rejoignent aussi la partie. M6 Publicité a signé un accord sur les données avec Carrefour (puis Unlimitail), et dit discuter actuellement avec l’ensemble des acteurs du retail. Des accords seraient proches avec Valiuz (Auchan) et Leboncoin. Une fois ceux-ci signés, « nous pourrons activer l’offre retail la plus puissante du marché », indique Hortense Thomine-Desmazure, directrice générale adjointe du digital de M6 Publicité.

- Vers la data collaboration ?

La fin imminente des cookies tiers offre aux données collectées, principalement par les e-commerçants et la grande distribution (via leurs cartes de fidélité), un rôle nouveau comme outil de ciblage. Et une valeur grandissante. Les alliances des acteurs de la grande distribution au sein de régies mutualisées leur ont permis d’atteindre une taille critique en matière de data. « La prochaine étape, c’est la data collaboration », pronostique Antoine Bsaibes, qui pilote le pôle tech et services de Weborama. Celle-ci est encore très limitée, admet-il, les freins humains, juridiques et technologiques prévalant encore.

Pour les lever, Weborama propose une solution dans laquelle il se porte garant de l’anonymisation des données via une data clean room, un espace numérique sécurisé où chaque partenaire peut partager ses données. « L’intérêt pour une marque, c’est d’avoir accès à des jeux de données qui deviennent exponentiels, constate Florence Bréban, cofondatrice de la start-up Datagram, spécialisée dans l’optimisation des campagnes retail media. Imaginez le nombre d’opportunités que l’on peut activer. »

- L’omnicanalité, enfin ?

Si, à l’origine, le retail media ne concernait que les annonces sur le site marchand du retailer, ce type d’activation dénommé on-site a rapidement été complété par des dispositifs d’extension d’audience sur des sites tiers (off-site), voire en magasin via notamment les réseaux d’affichage numérique. Une tendance qui suit la logique d’omnicanalité des retailers physiques et des marques dont les ventes sont encore très largement réalisées en magasin. « La tendance à l’omnicanalité, démarrée en 2023, va se poursuivre », prévoit Marc Fischli chez Criteo. « Les investissements off-site sont en train de fortement accélérer », complète Alban Villani, CEO de CitrusAd.

Mais le retail media ne doit pas se limiter à la communication sur le web, rappellent les spécialistes. « On a trop souvent tendance à appréhender le retail media dans sa seule dimension digitale. L’enjeu, à terme, est de le ramener dans le magasin physique », observe Johann Barsby, directeur associé de Publicis Commerce. « Les marques ont tendance à restreindre le retail media au e-retail media, à investir plutôt sur les sites e-commerce et à mettre au second plan le magasin physique », regrette aussi Sandrine Clion, directrice générale de la régie Imediacenter qui gère notamment les réseaux DOOH d’Auchan. « Or l’e-commerce ne représente que 12 % des ventes et 8 Français sur 10 prennent leurs décisions d’achat dans le magasin », rappelle-t-elle.

- L’enjeu de la mesure de performance

La multiplicité des acteurs du retail media, s’il témoigne d’une dynamique enviable, a toutefois des effets pervers sur la mesure de performance des campagnes. « Ces dernières années, nous sommes passés d’agrégateurs retail media comme Criteo à une fragmentation du marché, avec une régie par retailer et des adtechs qui ne se parlent pas ou peu, et ne permettent pas une uniformité de l’achat et de la mesure », regrette Arthur Gibelin, directeur e-retail/e-commerce au sein de l’agence iProspect.

« La mesure de la performance est clairement l’un des enjeux majeurs pour le retail media », constate Sébastien Camusot, head of e-retail chez Havas Market. « Mais avec la multiplication des régies et des acteurs, la comparaison des indicateurs fournis est très complexe, d’autant que les méthodes de calcul pour un même indicateur ne sont pas harmonisées », détaille-t-il. « Nous sommes encore sur un marché non mature, estime Véronique Pican, chez Equativ France. On voit bien que tout le monde ne parle pas encore la même langue, y compris dans la définition même du retail media. Il ne sera mature que lorsqu’il aura des mesures d’audience et des indicateurs standardisés. » Un chantier sur lequel l’IAB travaille et devrait livrer un référentiel pour la fin avril.

Or avec la tendance à l’omnicanalité du retail media, « la multiplication des points de contact va rendre l’attribution de la performance plus compliquée », prévient Dali Ben Alaya, CEO de Datagram. Si aujourd’hui la performance est calculée sur le « last click », Datagram est d’ailleurs en train de concevoir des modèles qui permettent d’intégrer tous les points de contact.

- De la conversion à la considération

C’est la capacité à convertir un visiteur du site marchand en acheteur qui a fait le succès phénoménal du retail media. Mais, aujourd’hui, les marques attendent de ce type d’action qu’il participe aussi à avoir une influence sur l’image du produit ou de la marque. « Autant il y a quelque temps, l’objectif unique était la conversion, autant aujourd’hui, les responsables marketing remontent dans le funnel de conversion pour générer, notamment, de la considération », observe Octavie Gosselin, vice-présidente de Mirakl Ads.

Dans ce contexte, l’arrivée de nouveaux formats qui vont au-delà des sponsored ads, comme les bannières et surtout la vidéo, bouscule les usages. La start-up Kamino Retail, qui a été l’une des premières à proposer des formats vidéo adaptés, a depuis multiplié les accords stratégiques (lire p. 36). « Aujourd’hui, le retail media est passé devant le print en investissements. La prochaine étape, c’est de dépasser la télévision. La vidéo, c’est donc une évolution naturelle pour le retail media », observe Alban Villani, chez CitrusAd.

- Demain le programmatique ?

« Au-delà des nouveaux acteurs et des nouveaux formats, on voit un changement structurant lié à l’adtech et à de nouvelles technologies SSP qui viennent rebattre les cartes du marché, avec un marché retail media qui sera demain 100 % programmatique », anticipe Arthur Gibelin, chez iProspect. Une évolution qui devrait prendre encore quelques années tant il est complexe d’automatiser à la fois les emplacements sur le site marchand, les promotions, le référencement du produit ou sa disponibilité…