Ce qu'implique l'accord entre OpenAI et « Le Monde »
Le quotidien a conclu un accord avec la maison mère de ChatGPT, dans la foulée de Springer en Allemagne. Mais cet accord fait grincer des dents certains éditeurs et pose beaucoup de questions. L'Alliance de la presse d'information générale s'apprête à écrire aux acteurs de l'IA, pour entamer des négociations.
Par Marina Alcaraz
OpenAI tisse sa toile dans les médias. La maison mère de ChatGPT vient de conclure un accord pluriannuel avec « Le Monde », ainsi qu'avec Prisa en Espagne (« El Pais », etc.) .
La société californienne a commencé, depuis quelques mois, à s'associer avec quelques éditeurs clés : l'agence AP, l'an dernier, puis, il y a quelques semaines, Springer (« Bild », « Die Welt », « Politico » etc.). Et, ce alors qu'à l'inverse, elle fait l'objet de poursuites, en particulier du « New York Times », pour violation des droits d'auteur.
Le partenariat avec « Le Monde » est le premier accord de ce type en France et pose beaucoup de questions. Annoncé dans les colonnes du quotidien par Louis Dreyfus, président du directoire du « Monde » et Jérôme Fenoglio, son directeur, il porte à la fois sur l'entraînement des modèles d'IA développés par l'entreprise américaine et sur « les services de moteurs de réponse tels que ChatGPT ».
Concrètement, OpenAI pourra avoir accès aux articles du journal du soir pour entraîner ses modèles. Et à partir des requêtes des utilisateurs, le robot conversationnel pourra donner les réponses, en piochant dans des contenus issus du « Monde ». Le journal sera ainsi présenté comme une référence fiable et prescriptrice, précise le journal. Les références aux articles seront « mises en exergue » et feront mention d'un logo, et d'un lien hypertexte avec le titre du ou des articles utilisés comme références (y compris ceux réservés aux abonnés).
« Source significative de revenus complémentaires »
Le quotidien français précise que le contenu fourni par des agences de presse (comme l'AFP) est exclu de l'accord. Le montant de cet accord n'a pas été communiqué. Dans le cas de Springer, le « Financial Times » évoquait une rémunération en dizaines de millions d'euros par an. Le quotidien du soir indique simplement qu'il bénéficiera d'« une source significative de revenus supplémentaires, pluriannuelle, qui intègre une quote-part au titre des droits voisins ». Selon un bon connaisseur du secteur, l'accord avec le « Monde » est sans doute bien moins important que celui Springer.
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Enfin, l'accord prévoit que les équipes du « Monde » pourront s'appuyer sur les technologies OpenAI pour développer des projets ou des fonctionnalités utilisant l'IA. Le quotidien utilise déjà l'IA par exemple pour publier « Le Monde in English » et pour des versions audio de ses articles.
« Bénéfique » pour la profession, pour l'un, cavalier seul, pour d'autres
« Avec cette première signature, il sera plus difficile pour les autres plates-formes d'IA d'esquiver ou de refuser toute négociation. De ce point de vue, nous sommes convaincus que cet accord est bénéfique pour l'ensemble de la profession », expliquent Louis Dreyfus et Jérôme Fenoglio.
Pour autant, ce partenariat fait quelque peu grincer des dents et pose beaucoup de questions. D'abord, en interne où l'intersyndicale SNJ et CGT fait valoir que la rédaction n'a pas encore bénéficié des accords sur les droits voisins et n'a été qu'informée au dernier moment de ce partenariat.
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Mais aussi à l'extérieur, parce que « Le Monde » a fait cavalier seul, comme il l'avait aussi fait dans les négociations sur les doits voisins à l'époque. « Le Monde joue le jeu d'OpenAI plutôt que de trouver une solution collective, globale pour les éditeurs de presse », commente un patron de la presse. En négociant ensemble, les éditeurs auraient sans doute pu espérer un plus gros chèque, et ne pas laisser potentiellement de côté des plus petits, moins intéressants pour OpenAI. « Ce partenariat risque d'imposer des bases de négociations communes à tous, or, tous les éditeurs et agences n'ont pas nécessairement les mêmes intérêts, ni les mêmes exigences », note Julien Guinot-Delery, avocat associé chez Gide.
L'Alliance pour la presse cherche aussi à négocier
Le risque est qu'OpenAI ne signe de beaux deals globaux qu'avec quelques gros médias. Certes, avec les nouvelles règles de l'AI Act, au niveau européen prévoyant davantage de transparence sur les sources utilisées dans l'entraînement, il va être obligé de parvenir à des accords avec d'autres. Mais comme l'avait rappelé Fabrice Fries, le patron de l'AFP il y a quelques semaines, qui négocie lui aussi avec des acteurs de l'IA, ce qui a le plus de valeur ce ne sont pas les archives - les contenus accessibles ayant été largement pillés par des acteurs de l'IA - mais plutôt les contenus d'actualité précis.
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Quoi qu'il en soit, nombre d'éditeurs cherchent à négocier avec les acteurs de l'IA. Ainsi, selon nos informations, l'Alliance de la presse d'information générale va envoyer à ces derniers une liste des éditeurs ayant mis en place un « opt-out » (permettant de refuser que des articles, par exemple, soient utilisés pour l'entraînement des modèles) afin de demander l'ouverture de négociations. Et, en parallèle, l'organisation représentant presque 300 titres n'exclut pas de lancer des poursuites en justice.
Pour autant, l'IA pose aussi beaucoup de questions, notamment sur les erreurs potentielles de ces outils, comme l'ont montré plusieurs études. Selon un bon connaisseur du sujet, « Le Monde » se serait assuré que l'entière responsabilité incombe à OpenAI, en cas d'erreur.
Marina Alcaraz