A-t-on une chance de devenir juge lorsqu'on a des origines modestes ?

Youssef Badr a créé"La Courte Échelle", pour aider les jeunes d'origine modeste à devenir magistrat ©Maxppp - Sophie Parmentier
Youssef Badr a créé"La Courte Échelle", pour aider les jeunes d'origine modeste à devenir magistrat ©Maxppp - Sophie Parmentier
Youssef Badr a créé"La Courte Échelle", pour aider les jeunes d'origine modeste à devenir magistrat ©Maxppp - Sophie Parmentier
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Chaque année, Youssef Badr, magistrat de 42 ans, regarde les noms des admis aux concours de l'Ecole nationale de la magistrature (ENM). Et chaque année, le même constat s'impose : "il n'y a pas beaucoup de noms aux consonnances étrangères". Alors il y a deux ans, il a créé La Courte Echelle.

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Ce jour-là, Marianne, magistrate de 34 ans a donné rendez-vous à Aline, étudiante en droit de 21 ans dans un restaurant coréen, dans le centre de Paris. Depuis quelques-mois, toutes deux échangent régulièrement dans le cadre d'un parrainage pour aider Aline à préparer le concours de l'Ecole nationale de la magistrature (ENM). "Je pense qu'il y a beaucoup d'auto-limitation de la part des étudiants. C'est pour cela que moi j'ai voulu coacher et transmettre un message qui est : "rien n'est impossible", explique Marianne. Et de fait, Aline la "sollicite beaucoup", souvent lors de baisse de motivation. "La dernière fois qu'on s'est appelées par exemple, je n'étais pas du tout sereine. Et discuter avec Marianne m'a fait beaucoup de bien".

"Si vous n'avez pas de contacts, c'est mort"

Deux chercheurs se sont d'ailleurs penchés sur cette question. Et constatent que 70% des admis au concours sont enfants de magistrats, cadres et autres professions intellectuelles. Soit tout l’inverse de Youssef Badr, 42 ans, fils d’immigrés marocains : un père ouvrier dans le bâtiment et une mère femme de ménage. Il est aujourd’hui juge en correctionnelle à Bobigny après avoir été porte-parole de la Chancellerie. Mais sa route jusqu'à la magistrature n’était pas vraiment toute tracée. "Il y a beaucoup de stages qui s'obtiennent grâce au réseau : papa, maman, l'oncle, la tante ou quiconque sont magistrats et font passer le CV en haut de la pile. Si vous n'avez pas de contacts, c'est mort. Et c'est profondément injuste".

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Alors Youssef Badr a créé La Courte Échelle. Une association qui ne cesse de grandir. Elle vient ainsi de signer une convention avec la Cour de cassation, sous l'égide de Remi Heitz, procureur général, pour faciliter l'accès aux étudiants qu'elle accompagne. Ce jour-là, Youssef Badr avait d'ailleurs emmené avec lui, dix étudiants en droit parrainés par la Courte Échelle. Perec, 21 ans, était parmi eux. "Je suis conscient que lorsque je rentre dans une pièce, l'une des premières choses que l'on remarque, c'est d'où je suis issu. Au-delà du fait que je suis noir, j'ai des origines modestes. Ne pas maîtriser les codes, ne pas faire la liaison sur certains mots, etc., c'est discriminant. Lorsqu'on dit "bonjour" alors qu'il fallait dire "mesdames et messieurs du jury" ... on se retrouve bien bête".

"Parrainage individuel"

En ce moment, 500 étudiants bénéficient d’aide mais plus de 5000 ont sollicité l’association depuis sa création, il y a deux ans. "En fait, je n'applique ni plus ni moins que ce qui a fonctionné pour moi il y a 15 ans. C'est du parrainage individuel", explique Youssef Badr. "J'étais parti au départ pour aider des étudiants du 93 , parce que je suis issu de l'université de Villetaneuse et que c'était précieux pour moi. Et j ne m'attendais pas à être autant sollicité".

Et derrière ces sollicitations, se dessine aussi ce à quoi pourrait (ou devrait ?) ressembler la magistrature de demain. "Quand on a un vécu un peu différent, il y a peut-être un peu plus d'empathie, de compréhension du justiciable", estime Inès qui a fait appel à la Courte échelle après avoir échoué une fois au concours de l'ENM, certes "très soutenue par [s]es parents mais pas sûre qu'ils sachent vraiment ce que c'est qu'un magistrat". "Pour renforcer la confiance des citoyens envers la justice, il faut qu'elle reflète tous les membres de la société et pas seulement les milieux favorisés", ajoute Maya, elle aussi étudiante en droit aidée par l'association. "Mais cela ne changera que le jour où quelqu'un à la tête de l'État mettra ce sujet sur le haut de la pile", analyse Youssef Badr. "Vraiment sur le haut de la pile".

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