Une tentative de recensement des étudiants français suivant un cursus vétérinaire à l'étranger

Depuis sa création, l'Observatoire national démographique de la profession vétérinaire a révélé au travers de ses atlas l'importance quantitative des jeunes vétérinaires diplômés hors de France qui s'inscrivent chaque année au tableau de l'Ordre des vétérinaires.

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Christophe DEGUEURCE

Pierre SANS

Au titre des écoles nationales vétérinaires de France

Formation

Si le nombre de vétérinaires exerçant en France formés à l'étranger augmente depuis la fin des années 1980, la profession connaît une crise démographique d'origine multifactorielle. Les écoles nationales vétérinaires françaises ont effectué un recensement auprès des étudiants français et des doyens de facultés ou d'écoles vétérinaires en Europe. Près de 3 900 d'entre eux étudient dans 41 établissements européens. Le modèle prévisionnel mis en place par l'Observatoire national démographique de la profession vétérinaire faisait état en 2021 d'un besoin de 1 275 nouveaux praticiens et 145 vétérinaires non praticiens par an, soit 1 420 diplômés par an. Selon ce recensement, ce seuil serait atteint en 2027 ou 2028.

Les vétérinaires diplômés en France ont appris, depuis la fin des années 1980, à côtoyer des confrères ayant été formés à l'étranger, particulièrement à Liège, en Belgique. Le pic de diplomation par cette faculté vétérinaire a eu lieu au milieu des années 2000, au moment où d'autres formations vétérinaires s'ouvraient en Europe, qui allaient progressivement accueillir de jeunes Français.

Depuis sa création, l'Observatoire national démographique de la profession vétérinaire a révélé au travers de ses atlas l'importance quantitative des jeunes vétérinaires diplômés hors de France qui s'inscrivent chaque année au tableau de l'Ordre des vétérinaires. C'est ainsi que les atlas 2021, 2022 et 2023 ont montré que respectivement 48, 55 et 51 % des primo-inscrits n'étaient pas issus d'une école nationale vétérinaire (ENV) française.

Dans le même temps que cette situation était objectivée, la profession connaissait, et connaît toujours, une crise démographique, d'origine multifactorielle. Face à cette situation de pénurie de main d'oeuvre, l'État et les ENV réagissaient en augmentant la taille des promotions. De 120 elles passaient à 140 en 2013 puis à 160 en 2019 et elles seront à 180 en 2025, soit une augmentation de 50 % des capacités de formation par rapport au nombre des sortants de 2017.

L'autre enjeu était de réduire la durée des études vétérinaires et de diversifier les profils des étudiants.

Profonde réforme des études dans les ENV en 2021

La France était incontestablement le pays européen où la durée des études pour devenir vétérinaire était la plus longue, ceci en lien avec les durées des cycles préparatoires aux études vétérinaires, deux ans à trois ans selon les voies, augmenté d'une année pour plus de la moitié des étudiants.

Le recrutement des étudiants dans les ENV (Alfort, Lyon, Nantes et Toulouse), qui était basé à 75 % sur la classe préparatoire Biologie-Chimie-Physique-Sciences de la Terre (BCPST), aboutissait à des recrutements très homogènes socialement et géographiquement.

Cette forte prééminence de la BCPST plaçait les ENV dans l'incapacité de recruter différemment, par exemple en évaluant de bons candidats sur des compétences extra-académiques.

Une profonde réforme des études dans les ENV a donc été conduite en 2021 avec la mise en place d'études en six ans après le baccalauréat (concours post-bac sur Parcoursup portant notamment sur de potentielles aptitudes à l'exercice du métier) puis première année de propédeutique aux études vétérinaires en ENV.

En recrutant des bacheliers, le système français s'alignait partiellement sur le modèle européen, gommait des particularismes de sa formation, accroissait les diversités sociale et géographique des étudiants recrutés et comblait un déficit d'attractivité face à des cursus étrangers recrutant en post-bac.

Accroissement et diversification de l'offre

L'année suivante, la première école privée française, à but non lucratif, l'école vétérinaire UniLaSalle de Rouen, recrutait sa première promotion, également via Parcoursup. Avec des promotions de 120 étudiants, l'accroissement cumulé des étudiants formés en France montait à 75 % par rapport à 2017. D'autres projets d'écoles vétérinaires sont actuellement portés par des collectivités territoriales ou des établissements d'enseignement supérieur.

Une mission du Conseil général de l'agriculture, de l'alimentation et des espaces ruraux (CGAAER) est chargée d'étudier la démographie vétérinaire et l'opportunité et la faisabilité de la création d'une 6e école vétérinaire.

Il n'est pas possible de penser la formation vétérinaire française et l'avenir de la profession sans les inscrire dans le paysage européen. On ne peut ignorer que la majorité des vétérinaires s'inscrivant chaque année à l'Ordre sont issus de facultés et écoles extérieures à la France.

Il suffit de suivre les réseaux sociaux dédiés pour constater l'accroissement et la diversification de l'offre de formation, l'appétence des jeunes Français pour ces alternatives qui leur apportent, outre une formation vétérinaire, une expérience de vie au sein de l'espace européen.

Deux tentatives de recensement ont déjà eu lieu, avec des résultats variables. La première, fondée sur le questionnement des écoles et facultés vétérinaires européennes, a été limitée par les réponses apportées par ces établissements. La seconde, en 2021, mobilisait le questionnement direct des étudiants vétérinaires extérieurs à la France via le groupe Facebook Études vétérinaires à l'étranger.

Résultats nombreux et divergents

Les ENV de France ont mené un nouveau recensement en tentant de combiner les deux méthodes afin de mesurer ce phénomène d'émigration des jeunes Français souhaitant devenir vétérinaires. La chose peut paraître simple au premier abord mais la mise en oeuvre de ce recensement révèle de nombreux écueils et nous avons procédé en plusieurs étapes.

Tout d'abord, nous sommes allés à la source en sollicitant les étudiants français eux-mêmes. En utilisant le groupe Facebook cité, nous avons soumis un formulaire numérique aux étudiants en les invitant à indiquer leur établissement de formation, leur promotion, leur langue d'étude - car certains établissements proposent jusqu'à trois cursus simultanés - et surtout le nombre de Français qu'ils côtoient dans leur promotion.

Nous avons ainsi recueilli 397 réponses.

Dans le même temps, nous avons sollicité nos collègues doyens des écoles et facultés vétérinaires. Certains nous ont répondu, d'autres non, malgré des relances assez insistantes. Nous verrons s'ils le feront ultérieurement. Nous avons également eu recours à des étudiants que nous connaissons personnellement et qui nous ont fourni des données exactes.

Nous avions parfois, pour une même année, des résultats nombreux et divergents, les étudiants nous donnant des évaluations plus que des valeurs précises. Nous avons donc sollicité à nouveau les étudiants afin d'améliorer la précision des informations et avons recueilli 110 nouvelles réponses.

Toutes ces données ont été ainsi consolidées, avec trois niveaux de sécurité des données : sécurité très forte quand elles nous étaient apportées par les établissements, sécurité forte quand un étudiant nous fournissait une donnée précise, convergente avec d'autres témoignages, sécurité moyenne lorsque les réponses restaient malgré tout divergentes.

Surtout Roumanie, Espagne et Belgique

Sur les 159 années de formation identifiées, 85 sont de sécurité très forte, 60 sont de sécurité forte, 14 de sécurité moyenne. Ceci est important à prendre en compte dans la mesure où, même si nous allons utiliser des valeurs exactes, les valeurs réelles sont obligatoirement différentes. Il ne faut juger ce recensement que dans ses grandes masses, même si nous citerons des données précises.

Les réponses ont témoigné de la présence d'étudiants dans 41 établissements européens, certains de ces établissements ayant jusqu'à 3 cursus linguistiques simultanés, à l'image de CEU Valencia (Espagne) ou de Cluj Napoca et Timisoara (Roumanie), où on retrouve des Français dans les 3 filières linguistiques (langue nationale, anglais et français). A l'exception de 5 établissements espagnols et de 3 portugais, tous étaient publics.

Le nombre total de jeunes Français identifiés approche les 3 900. Les pays accueillant le plus de jeunes Français sont la Roumanie (1 280), l'Espagne (1 074), la Belgique (596), le Portugal (487), la Slovaquie (157), la Croatie (81), la République tchèque (68), la Hongrie (57), l'Allemagne (36), la Pologne (26), l'Italie (14). Quelques jeunes Français étudient en Estonie, Irlande, Royaume Uni, Sénégal et Tunisie. Le cas de la Belgique est particulier en ce que le premier cycle est réalisé dans
4 facultés francophones et que finalement seulement 80 parviennent aujourd'hui à Liège pour y suivre les 3 dernières années menant au diplôme. La comparaison avec les autres pays n'est donc pas aisée.

Si on considère maintenant les étudiants de 1ère année, c'est-à-dire ceux qui illustrent le flux de vétérinaires à venir, dans 5 ou 6 ans, ils sont un peu plus de 1 000 en valeur absolue, un peu moins de 900 quand on retraite les données en retirant les jeunes Français qui n'accéderont probablement pas au master de Liège.

5 ou 6 ans d'études

Si on considère la situation actuelle des ENV, à 160 par promotion, on est donc face à une équivalence de 5,5 ENV, à laquelle il faut ajouter l'école vétérinaire UniLasalle, à 120 étudiants par an. Le dispositif est donc, en flux, sensiblement à une équivalence d'environ
10 ENV accueillant de jeunes Français puisque la très grande majorité d'entre eux reviennent en France après leurs études.

Cette valeur traduit une augmentation du nombre de jeunes Français formés à l'étranger comme on peut le constater sur la cinétique théorique de diplomation.

Les études vétérinaires peuvent durer 5 ans, comme en Espagne, en Irlande ou en Italie, 5,5 ans, comme en Allemagne, en Hongrie et en Pologne, ou 6 ans dans tous les autres pays. En ne se concentrant que sur le tronc commun à tous ces cursus, soit les 5 premières années, et en retraitant le cas des étudiants en Belgique qui n'accéderont pas à Liège, on recense 509 étudiants en 5 e année, 606 en 4 e , 668 en 3 e , 793 en 2 e et 885 en 1 ère . La tendance est donc à la hausse, ce qui s'explique par les augmentations du nombre d'établissements accueillant des Français et du nombre d'étudiants dans certains cursus, accroissement non compensé par la diminution du nombre de Français diplômés par Liège.

La hausse du nombre d'étudiants ne se fait sentir qu'après leur diplomation, c'est-à-dire entre 5, 5,5 et 6 ans après leur intégration. Ces différences de durée des cursus induisent un échelonnement des diplomations des étudiants hors de France, auquel s'ajoutera la diplomation de l'école vétérinaire UniLaSalle en 2028. Quant à la troisième hausse des effectifs dans les ENV, elle ne produira ses effets sur le marché du travail qu'en 2030. Ainsi, la montée en puissance sera progressive, passant d'environ 7 éq.ENV (à 160 étudiants) en 2024 à 10 éq.ENV en 2028, puis presque 11 éq.ENV en 2030, en considérant que les valeurs observées en 2028, seules connues à ce stade, seraient transposables à 2029 et 2030.

Du point de vue numérique, le modèle prévisionnel mis en place par l'Observatoire national démographique de la profession vétérinaire, réévalué en 2021, faisait état d'un besoin de 1 275 nouveaux praticiens par an, auxquels il faut ajouter le besoin de 145 vétérinaires non praticiens estimé en 2019, soit 1 420 diplômés par an. Aux incertitudes près de l'actuel recensement, ce seuil proposé en 2021 serait atteint en 2027 ou 2028. Reste l'incertitude sur le déficit réel accumulé par la profession et la manière dont il se comble ou non ces dernières années.

Les auteurs remercient les étudiants vétérinaires et leurs collègues doyens qui les ont aidés à mener ce recensement certes imparfait mais qui dégage quelques tendances. Ils espèrent recueillir des données complémentaires qui permettront d'accroître la fiabilité de cette enquête et ne manqueront pas de produire les erratum  dont ils auraient connaissance.

Gros Plan : Un exercice plus serein aux alentours de 2028

Laurent PERRIN

Président du SNVEL*

Françoise BUSSIERAS

Secrétaire générale du SNVEL

Nous savons tous bien sûr que « les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu'elles concernent l'avenir » (Pierre Dac).

Certains se souviennent qu'on avait pendant des années annoncé une pléthore de diplômés dont on se demandait bien ce qu'on allait en faire (3 000 diplômés de trop pour les années 1990). Ces annonces avaient sans doute contribué à ne pas augmenter le numerus clausus au concours et ont conduit au sous-effectif que l'on connaît aujourd'hui, source essentielle de stress professionnel.

Depuis 2020, plus de la moitié des nouveaux inscrits à l'Ordre vient d'une école non française. Et certains commencent à se demander s'ils ne seront pas trop nombreux.

Avoir de la visibilité

Avoir une visibilité sur le nombre de diplômés qui vont arriver d'Europe est donc primordial pour la profession. Cela permet en premier lieu d'envisager aux alentours de 2028 un exercice plus serein grâce à des effectifs en adéquation avec les besoins.

En effet, l'estimation qui annonce autour de 1 700 vétérinaires à l'horizon 2030 correspondrait assez bien aux besoins en vétérinaires praticiens, autour de 1 500 annoncés par l'étude prospective de 2019 conduite en parallèle de l'Observatoire démographique de la profession vétérinaire.

Que se passera-t-il ensuite ? Les variables telles que le temps de travail par individu, les pauses dans une carrière, les changements de voies, le niveau de la médicalisation des animaux de compagnie, les besoins d'un élevage français en décapitalisation et d'autres qu'on ne connaît pas encore sont tellement imprévisibles que la visibilité au-delà de 2030 est difficile à annoncer.

La question de la création de nouvelles écoles nationales vétérinaires ou privées doit donc être regardée avec beaucoup de circonspection.

* SNVEL : Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral.

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1696

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