C’est une bien mauvaise nouvelle pour la petite filière française de panneaux solaires. Le nantais Systovi, l’un des rares fabricants hexagonaux, avec notamment l’alsacien Voltec Solar et Reden, installé près d’Angers, a annoncé jeudi 14 mars qu’il jetait l’éponge et cherchait un repreneur.

« Notre carnet de commandes s’est effondré face à la concurrence chinoise, qui a divisé ses prix par deux depuis l’été dernier, et avec laquelle nous ne pouvons pas rivaliser. Sans perspectives, nous avons préféré arrêté les frais, après avoir été pendant des années déficitaire, voire tout juste à l’équilibre », explique Paul Toulouse, le PDG de Systovi.

Des panneaux devenus quatre fois plus chers que leurs concurrents chinois

L’entreprise, qui emploie 87 salariés et a réalisé 21,5 millions d’euros de chiffre d’affaires l’an dernier, appartient depuis 2018 au groupe Cetih, spécialisé notamment dans la fabrication de portes et de fenêtres, dont l’une des particularités est d’avoir comme actionnaire majoritaire un fonds de dotation philanthropique, qui avait été monté par le créateur. Il détient 35 % du capital au côté des salariés (33 %) et de trois fonds d’investissement.

En 2023, Systovi avait pourtant investi dans l’augmentation de ses capacités de production, avec l’objectif d’arriver d’ici à 2025 à 200 000 panneaux par an, afin d’accompagner la forte croissance du marché photovoltaïque. Las, l’entreprise n’en a écoulé que 70 000 au lieu des 150 000 prévus.

«Nos panneaux sont aujourd’hui quatre fois plus chers que ceux fabriqués en Chine.Quand le rapport était d’un à deux, nous arrivions à peu près à nous en sortir, en jouant sur la qualité, le made in France et le service après-vente. Mais là, ce n’est plus possible», ajoute-t-il, en rappelant que son entreprise produit en dix ans ce que le chinois Longi, l’un des leaders mondiaux, sort… en une seule journée. Selon nos informations, Voltec Solar aurait lui aussi de plus en plus de mal à écouler ses panneaux. Aux mêmes causes, les mêmes effets.

L’Europe tarde à réagir

Le patron de Systovi dénonce ainsi l’incapacité de l’Europe à se défendre face à cette déferlante. « Un accord a bien été trouvé le mois dernier dans le cadre du Net-Zero Industry Act pour imposer quelques barrières à l’entrée, comme notamment la prise en compte de l’empreinte carbonedes produits ou l’instauration d’un seuil obligatoire de production européenne pour les commandes publiques, mais elles ne seront applicables que fin 2025. D’ici là, beaucoup d’entre nous auront disparu», souligne-t-il.

En début d’année, le Conseil européen de l’industrie solaire (ESMC), qui regroupe environ 80 fabricants, avait écrit à la Commission. Il évoquait une « menace existentielle », estimant que la moitié des capacités européennes étaient menacées de fermeture, sans une réaction rapide des autorités.

Entre mourir et partir, le suisse Meyer Burger, qui est le dernier fabricant de modules photovoltaïques en Allemagne, a déjà annoncé, le 23 février, qu’il délocalisait sa production aux États-Unis, où le marché est plus prometteur. L’administration américaine a, en effet, fermé ses frontières aux panneaux chinois, accusant leurs fabricants d’avoir recours au travail forcé d’Ouïghours. Résultat, la Chine, qui se retrouve avec d’importantes surcapacités, brade ces produits pour les écouler en Europe.

Priorité donnée au déploiement du solaire

«Le problème est que certains États membres ne veulent pas prendre de mesures aussi radicales, parce que les panneaux à bas prix permettent d’accélérer le déploiement du solaire, même si cela suppose de fermer les yeux sur la manière dont ils sont fabriqués. En ce sens, il y a clairement un devoir de vigilance à plusieurs vitesses», regrette le député européen Renaissance Christophe Grudler.

L’an dernier, les pays de l’Union européenne ont installé une capacité solaire record, en progression de 40 % par rapport à 2022. Et selon les données de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), 90 % des équipements viennent de Chine.

Deux gigafabriques sont toujours en projet en France

Certains continuent de croire à la création d’une filière européenne. « Même en Chine, la situation n’est pas tenable longtemps, car le gouvernement ne va pas continuer à financer les pertes des fabricants, dont certains sont déjà en très mauvaise posture, et l’Europe commence à prendre conscience que la transition énergétique va de pair avec la reconquête de sa souveraineté industrielle», estime Pierre-Emmanuel Martin, le PDG de Carbon, qui prévoit toujours de construire une gigafabrique de panneaux solaires à Fos-sur-Mer, d’ici à 2026. L’armateur marseillais CMA CGM est entré à son capital et l’État va également apporter son concours.

Jan Jacob Boom-Wichers, le PDG de Holosolis, l’autre gigafabrique de panneaux solaires prévue dans l’Hexagone qui devrait voir le jour à peu près au même moment à Hambach (Moselle), se dit lui aussi confiant. «Le processus de décision est toujours un peu long en Europe, mais des règles claires vont enfin se mettre en place pour favoriser la production locale », estime-t-il. Mais chez Systovi, l’attente est jugée trop longue. Ses dirigeants espèrent maintenant qu’un actionnaire aux reins solides ait les moyens de patienter.

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Le solaire poursuit sa progression en France

En 2023, 3,2 GW d’énergie solaire ont été raccordés, contre 2,7 GW en 2022, portant la puissance du parc à 20 GW. Cette année, 4 GW supplémentaires devraient voir le jour.

Le secteur est porté par le marché des particuliers, avec plus de 200 000 nouvelles installations en 2023, soit un doublement par rapport à 2022.

Toutes les régions sont concernées. L’an dernier, les raccordements ont ainsi progressé de 34 % en Bretagne et de 29 % dans le Grand Est.