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Décryptage

IA, RSE, data : les experts-comptables face à des défis inédits

Le métier d'expert-comptable est « impacté dans ses missions traditionnelles ». Un plan de formation sans précédent depuis des décennies est engagé à l'horizon 2030.

Encore peu féminisée, la profession d'expert-comptable est en constante augmentation
Encore peu féminisée, la profession d'expert-comptable est en constante augmentation (Shutterstock)

Par Hubert Vialatte

Publié le 25 mars 2024 à 06:10

L'expert-comptable discret qui recevait son client une fois par an pour faire le bilan de l'exercice écoulé, c'est du passé. Entre transition numérique des cabinets et celle de leurs clients, évaluation de la performance extra-financière des PME ou anticipation de la facture électronique - prévue pour le 1er juillet, puis reportée au 1er septembre 2026 par le gouvernement -, c'est l'heure des grands travaux pour les plus de 21.000 professionnels et 19.000 sociétés (dont 6.000 pour la seule région Ile-de-France, selon la base Istya, constituée à partir des déclarations de cotisation).

« Notre métier est impacté dans ses missions traditionnelles. Toute la partie comptabilité va être automatisée, via des logiciels qui vont intégrer l'intelligence artificielle », illustre Cécile de Saint Michel, la présidente du Conseil national de l'ordre des experts-comptables (Cnoec) : « Ces outils ne sont pas encore totalement satisfaisants, mais les choses vont très vite, notamment avec l'arrivée de la facturation électronique dans les entreprises. »

Spécialisation

Cette évolution va accélérer l'automatisation de la comptabilité dans les entreprises. Et libérer du temps pour d'autres tâches, à plus forte valeur ajoutée. Par exemple, les traditionnels bilans annuels, où l'attention est portée sur le seul exercice passé, « laisseront la place à un copilotage proactif de l'entreprise », anticipe Cécile de Saint Michel. De plus en plus, les entreprises veulent des éléments actualisés.

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Par la facturation électronique, les données vont devenir une mine d'or, utilisables immédiatement, mais ces opportunités posent des défis. « L'indépendance de la profession passera par la détention de la data , bien plus que par la détention de l'outil de comptabilité », prévient-elle.

C'est un plan [de formation] comme l'ordre n'en a pas connu depuis 1945.

Cécile de Saint Michel, présidente du Conseil national de l'ordre des experts-comptables

Le Conseil de l'ordre développe sa propre plateforme de développement partenaires (jefacture.com), en attente du feu vert de la Direction générale des finances publiques. Pour embarquer ses collaborateurs - ce qui est loin d'être simple, la montée de l'IA pouvant faire craindre des suppressions d'emplois -, il a lancé un plan de formation d'ici à 2030. Pas moins de 50 parcours, pilotés par le Centre de formation de la profession comptable, sont déployés par les instituts régionaux de formation.

Quelque 4,7 millions d'euros sont investis, soit 3 millions pour la formation des collaborateurs et 1,7 million pour celle des experts-comptables. « C'est un plan comme l'ordre n'en a pas connu depuis 1945 », souligne Cécile de Saint Michel.

Autre geste fort : pour la première fois, le Cnoec ouvrira aux collaborateurs son prochain congrès annuel, en septembre à Marseille. Aujourd'hui, les experts-comptables pratiquent tous le même métier. Mais on tend vers une spécialisation : service aux PME (relance clients, paiements fournisseurs, établissement de devis, secrétariat partagé, etc.), cybersécurité, gestion de patrimoine, digitalisation… Des cabinets plus structurés, comme Emargence à Paris ou Axylis en régions, ont déjà engagé cette structuration.

« Détecter des maladies »

En régions, les conseils régionaux de l'ordre (Croec) évangélisent auprès de leurs membres et des PME. Exemple en Occitanie, où le Croec fait le tour des départements pour sensibiliser les entreprises sur l'urgence de lancer une démarche RSE (responsabilité sociétale des entreprises) et établir ainsi les premiers bilans extra-financiers. « Cette démarche ne doit pas être perçue par les entreprises comme une contrainte venant de l'Europe, mais comme un atout vis-à-vis des fournisseurs et des donneurs d'ordres, et en termes de marque employeur », explique Pascal Castanet, son président.

Autre tendance, selon lui, que la profession va devoir pousser auprès des PME : la nouvelle notion de responsabilité territoriale des entreprises, c'est-à-dire l'impact des PME sur leur écosystème local. Un argument pour recruter des jeunes compétences, sensibles à ces enjeux.

Alors que les trésoreries des entreprises se dégradent, les experts-comptables sont également de plus en plus amenés à jouer un rôle de vigie. En Occitanie, une formation portant sur la prévention des entreprises en difficulté vient d'être créée, avec des audiences au tribunal de commerce et chez un administrateur judiciaire.

« Parvenir à sauver une entreprise en difficulté, en l'alertant notamment sur l'utilité de la procédure de sauvegarde, c'est, pour un expert-comptable, une réussite, car cela requiert un savoir-faire juridique. C'est plus intéressant que d'accompagner le succès de son client », affirme Marc Aufort, dirigeant associé du cabinet Axylis, qui emploie 180 salariés à Béziers et Toulouse pour 15 millions d'euros de chiffre d'affaires.

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A moyen terme, des comptabilités prédictives, avec analyses des indicateurs de marché par secteurs géographiques et segments de marchés, vont émerger dans les cabinets. Un outil précieux en matière de prévention des difficultés, « comme l'IA aide les radiologues à détecter des maladies », illustre Cécile de Saint Michel. Moins positif, la profession redoute un nouveau relèvement des seuils - le troisième depuis 2019- à partir desquels les entreprises sont obligées de faire certifier leurs comptes par un commissaire aux comptes. Beaucoup de cabinets d'experts comptables sont en effet aussi commissaires aux comptes et craignent de perdre des mandats.

La profession d'expert-comptable est en constante augmentation : depuis 2015, le nombre de sociétés a fait un bond de près de 27 % ; et celui des experts-comptables, de plus de 10 %. Dans son ensemble, en incluant les salariés qui ne sont pas experts-comptables, le secteur est passé en dix ans de 140.000 à 170.000 collaborateurs. Elle est encore peu féminisée (un tiers seulement) mais les lignes bougent. Alors que les femmes ne représentent que 13 % des experts-comptables âgés de plus de 65 ans, elles sont 40 % chez les 30-39 ans, selon le Cnoec.

Hubert Vialatte (Correspondant à Montpellier)

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