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Enquête sur les 5 compétences qui feront la différence d'ici à 2030

Révolution IA, obsolescence accélérée des savoirs, urgence climatique, crise de sens et des talents, menace sur les démocraties… Les prochaines années promettent d'être riches en défis pour les entreprises et leurs (futurs) décideurs. Alors, pour s'y préparer, nous avons enquêté sur les compétences transversales qu'il vous faudrait commencer à bosser dès maintenant.

« Promouvoir la résilience mène surtout au burn-out. On supporte crise sur crise, jusqu'à ne plus en pouvoir. Le plus important, c'est l'adaptabilité et l'anticipation », Serge da Motta Veiga, directeur de la recherche de Neoma Business School.
« Promouvoir la résilience mène surtout au burn-out. On supporte crise sur crise, jusqu'à ne plus en pouvoir. Le plus important, c'est l'adaptabilité et l'anticipation », Serge da Motta Veiga, directeur de la recherche de Neoma Business School. (Getty Images)

Par Julia Lemarchand, Laura Makary

Publié le 25 mars 2024 à 04:00Mis à jour le 25 mars 2024 à 09:26

Le code, grande compétence du XXIe siècle ? Ce n'est pas l'avis de Jensen Huang, PDG de Nvidia, le champion des puces utilisées pour faire de l'IA générative qui fait sensation à Wall Street . « Le miracle de l'intelligence artificielle » a tout percuté, avance le patron de la tech le plus en vue du moment. À terme, il ne sera plus nécessaire d'apprendre à coder, car le langage de programmation sera de plus en plus humain. Et donc, « tout le monde sera programmateur ». Circulez, y a plus rien à apprendre ? « Il est urgent que tout le monde monte en compétences, et cela sera à la fois délicieux et plein de surprises », promet-il. Ouf, nous voilà rassurés.

Quid des compétences à acquérir ? Vaste (et difficile) question à laquelle notre « prophète » ne répond pas. À nous d'explorer. « Il y a quarante ans, la durée de vie d'une compétence technique était de trente-deux ans. En 2021, elle n'est plus que de deux, selon l'OCDE ! Il est impératif de former tout le monde, tout le temps », plaide Clément Meslin, CEO de la plateforme Edflex, sorte de Netflix de la formation pour les entreprises, qui agrège quelque 50.000 contenus pédagogiques. Première leçon, il va falloir « apprendre à apprendre ». Vous êtes déjà dans les starting-blocks ? Alors, suivez le guide.

1. Savoir collaborer en écosystème

Toute l'équipe en CDI, réunie dans un même bureau, cinq jours par semaine. Une image qui paraît déjà obsolète tant les cadres sont devenus accros au télétravail, mais aussi parce que l'entreprise fonctionne de plus en plus en mode projet, formant des équipes que l'on appelle « contingent workforce ». Autrement dit des équipes hybrides : 47 % des entreprises ont déjà recruté des collaborateurs externes (freelance, CDD, intérim), selon une étude du cabinet de recrutement Hays publiée en février 2024. La dynamique du freelancing semble inarrêtable : plus de 4,3 millions d'indépendants en 2022, soit près de +50 % en dix ans, selon l'Urssaf.

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« La notion de frontière entre interne et externe n'existe plus, avec un cadre de référence qui a explosé. Chacun doit apprendre à composer dans un écosystème de plus en plus éclaté, avec des indépendants, et des partenaires aux statuts variés », analyse Perrine Dejoie, directrice de l'activité « Talent Consulting » du cabinet Morgan Philips en France.

Qui dit « écosystème » dit « collab' ». Que ce soit avec des start-up de l'incubateur maison pour ne rater aucun train technologique, avec des associations pour relever des défis sociaux et environnementaux répondant à la « mission-raison d'être » de l'entreprise, ou encore avec des influenceurs pour un lancement de produit. La collaboration à tous les étages devient un enjeu, pour chacun. Alors que tout s'accélère, la vraie compétence est de savoir où est sa valeur ajoutée, la cultiver et tirer le meilleur de ses partenaires, internes et externes.

Quitte à s'allier avec ses concurrents, quand cela est nécessaire. « Pour avancer dans des contextes complexes, face à des crises, on entre dans une logique de travail partenarial, avec un principe de 'coopétition' », observe Ambroise Collon, directeur des Nouveaux Géants , organisme de formation tourné vers la transition écologique.

Exemples : Danone, Nestlé Waters et PepsiCo imaginant un plastique biosourcé pour leurs bouteilles il y a quelques années ou, plus récemment, les laboratoires GSK et Sanofi face au Covid. Autre illustration : face à la crise des « talents », près de 500 employeurs français ont rejoint cette année le mouvement du « recrutement circulaire » , en se recommandant mutuellement les candidats qualifiés et intéressants qu'ils ne peuvent pas embaucher ou garder.

Le terreau de la coopétition serait fertile en France : deux tiers des entreprises françaises déclaraient déjà collaborer avec leurs concurrents en 2022, contre une petite moitié en moyenne dans le monde, selon une étude réalisée par Tata Consultancy Services auprès de 1.200 dirigeants. Et 80 % des entreprises « leaders » de leur secteur s'estimaient ouvertes à la coopétition dans un but d'innovation.

2. Rester intelligent face à l'IA

« L'IA, c'est comme un cheval fougueux. Il peut vous amener dans le mur ou vous porter très loin si vous faites ce qu'il faut pour le dompter », résume l'économiste Philippe Aghion , coauteur du rapport de la commission de l'intelligence artificielle, remis le 13 mars à Emmanuel Macron. En un an, 43 % des Français (et 65 % des moins de 35 ans !) ont déjà essayé de « dompter » ChatGPT, selon l'Ipsos.

Car, « oui, il faut se préparer à ce que l'automatisation permise par l'IA supprime certains emplois et accélère l'obsolescence de certaines compétences »,prévient le rapport . Beaucoup de professionnels l'ont bien compris : sur OpenClassrooms, « 4.000 à 5.000 personnes par mois commencent notre cours sur ChatGPT, avec un intérêt très fort depuis six mois et un taux de complétion important », indique Mathieu Nebra, son cofondateur.

Pour dompter l'IA générative et en tirer le maximum de bénéfices dans nos jobs, il faut d'abord apprendre à la connaître. « Techniquement, ChatGPT ne répond pas à la question posée, il prolonge ce que l'internaute a écrit. Le style, la complexité et la clarté avec lesquels la question est écrite vont déterminer la qualité de la réponse », pointe Jérémy Lamri, cofondateur du Lab RH et du studio d'innovation RH Tomorrow Theory. Comprendre à quelle IA générative on s'adresse (la nature des bases de données qu'elle traite) est en outre essentiel pour mesurer la fiabilité de ses réponses et en déjouer les biais.

Au-delà, il faudra probablement apprendre du « prompt engineer » (ou ingénieur de requête, dont le métier est justement de dialoguer avec les IA) et lui emprunter ses compétences clés : créativité, flexibilité, capacité d'analyse et surtout esprit critique. Sur les réseaux sociaux, les « deepfakes », photos et vidéos truquées au profit de cyberattaques toujours plus sophistiquées, nous mettent déjà au défi.

Dans son Global Risks Report 2024, le Forum économique mondial place la désinformation au premier rang des grands risques que l'on aura à affronter sur les deux prochaines années. Pour y faire face, c'est une culture du « zero trust » (méfiance et vérification permanente) qu'il faudra se forger. De nouveaux programmes de « cybersecurity mindfulness » sont même imaginés aux Etats-Unis pour renouveler l'approche traditionnelle de la gestion des risques en matière cyber, qui a montré ses limites. La méditation nous aide à prendre de meilleures décisions, à rester intelligent face à des cybercriminels qui savent exploiter nos émotions. Prêt à booker votre coach de « pleine conscience » ?

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3. Tous prospectivistes !

Face aux récentes crises, un mot s'est imposé : « résilience ». On le retrouve partout dans les catalogues de formation : « Développer sa résilience », « Optimiser sa résilience »… Pour Serge da Motta Veiga, directeur de la recherche de Neoma Business School, on fait fausse route : « Promouvoir la résilience mène surtout au burn-out. On supporte crise sur crise, jusqu'à ne plus en pouvoir. Le plus important, c'est l'adaptabilité et l'anticipation. »

Pour muscler ces compétences, ce chercheur en management nous invite à nous poser régulièrement trois questions : comment définit-on le succès ? avec quelles métriques le mesure-t-on ? et quelles valeurs guident nos choix ? « Cela permet de réfléchir à son positionnement dans son entreprise, dans sa carrière. D'être proactif et non attentiste. »

Car, bien sûr, personne n'a de boule de cristal. « L'anticipation, c'est surtout savoir que le futur est fondamentalement incertain, et donc se préparer à être acteur du changement au sein de ce monde incertain », avance Daniel Kaplan, cofondateur du réseau Université de la pluralité, travaillant sur les grandes transitions. « À quoi ressembleront nos entreprises en 2050 ? », c'est l'une des récentes et ambitieuses réflexions menées par ce réseau avec des représentants de quelque 50 entreprises et organisations. Avec l'aide d'écrivains de science-fiction, ils ont élaboré une liste de 12 archétypes d'entreprises du futur. N'y voyez pas là un exercice de prédiction, mais un appel à la réflexion, à la discussion, à l'invention.

Vous vous dites que c'est un travail hors-sol ? Prenons le dérèglement climatique : un réchauffement à +4 °C d'ici à la fin du siècle ne relève plus de la fiction, l'heure est bien à l'adaptation . La médiatisation du troisième plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC-3) du gouvernement français, qui doit être finalisé avant l'été, devrait faire réfléchir chaque acteur à sa propre stratégie d'adaptation.

Lui n'est pas « adaptologue » mais prospectiviste. Olivier Desbiey, responsable d'AXA Foresight, exerce un métier en vogue dans les grands groupes, qui mélange expertises et méthodes de « design thinking ». « Notre travail est d'explorer les futurs possibles pour mieux anticiper les défis de demain et saisir aussi les opportunités qui se présentent », résume cet économiste de formation, qui produit chaque année un « rapport d'exploration » sur les grands enjeux de son secteur.

Se nourrir de ce type de travaux, s'inspirer des méthodes d'intelligence collective des prospectivistes, en faisant des détours si besoin par la fiction, n'est pas l'apanage des professionnels de l'assurance. Autre illustration : la « Red Team » imaginée par l'Agence de l'innovation de défense (AID), qui élabore depuis 2019 des sortes de polars d'anticipation. Ce travail collectif, réalisé entre auteurs de science-fiction, experts militaires et scientifiques, a pour but d'imaginer les menaces pouvant directement mettre en danger la France et ses intérêts à l'horizon 2030-2060.

4. Définir sa « raison d'être » ?

« La nécessité de compétences nouvelles pour répondre au défi écologique apparaît dans tous les secteurs », rappelle Cécile Jolly, en charge de la prospective des métiers et des qualifications à France Stratégie. Pour elle, « c'est plus une coloration verte d'un grand nombre de métiers qui est en jeu que l'apparition de nouveaux métiers ». Le hic ? Plus de la moitié des dirigeants estime que le niveau de compétences des actifs n'est pas à la hauteur de ces enjeux, selon une récente étude de l'Unédic réalisée auprès de 400 dirigeants.

Pourtant l'offre de formation n'a jamais été aussi pléthorique et accessible. « On le voit au niveau des écoles de commerce, la compétition qui s'est faite un temps sur la finance, puis l'entrepreneuriat s'est aujourd'hui déplacée sur l'écologie, avec de plus en plus de programmes solides, pertinents », remarque Ambroise Collon des Nouveaux Géants, qui aide les professionnels à faire « transitionner » leur métier. Partout, en effet, fleurissent des formations métier (marketing responsable, achats durables…) ou transverses (objectifs ESG, réussir la transition bas carbone, diversité et culture inclusive, RSE sous toutes ses formes…).

30 %

C'est la proportion de jeunes ayant acquis les connaissances et les compétences nécessaires pour préserver l'environnement. Source : Edition 2023 des Perspectives de l'OCDE sur les compétences

Celles et ceux qui n'auront pas attendu de prendre le train de la transition écologique marquent des points auprès des recruteurs. Pour avancer, les entreprises savent qu'elles ont besoin d'ambassadeurs en interne et de collectifs d'employés engagés qui développent une connaissance, un réseau, proposent des projets, testent des solutions, des formations, repèrent les opportunités business…

Pour être de ceux-là, encore faut-il savoir développer son « purpose » (sa « raison d'être »), et le valoriser (« plaidoyer »). « Connaître sa propre étoile du berger, c'est comprendre ses moteurs et trouver un fil conducteur dans sa vie professionnelle. On peut facilement passer d'un métier à l'autre, mais on a besoin d'une cohérence. En sachant ce qui nous anime et comment avoir un impact », remarque Julie Ranty, de Pollen.

Daniel Kaplan, de l'Université de la pluralité, complète : « Il ne suffit pas d'être habité, il faudra de plus en plus savoir défendre ses convictions et cultiver cela dans les équipes. Savoir argumenter, tout en entendant et en comprenant les avis des autres. » Préalable essentiel pour faire advenir des consensus mobilisateurs. Sur le sujet de l'environnement, comme sur les enjeux technologiques, d'inclusion ou encore de santé au travail. À chacun sa bataille.

5. Cultiver ses « mad skills »

Vous connaissiez les « soft » et les « hard » skills. Mais n'oubliez pas de faire une place à vos « mad skills » ! Ces compétences atypiques, originales peuvent concerner une passion spécifique, des connaissances sur un domaine improbable, une personnalité hors des clous… « Les mad skills peuvent être assimilées à ce petit supplément d'âme dans un CV, suffisant pour faire la différence », commentait Pauline Lahary, créatrice de MyCVFactory, dans un article des « Echos » en février.

Les recruteurs sont de plus en plus sensibles à la construction de collectifs hétérogènes, avec en tête les nombreuses études montrant une corrélation positive entre diversité au sens large et meilleure performance économique. Une des dernières illustrations de cette tendance est probablement l'attention particulière portée aux profils « neurodivergents » (dys, autisme, TDAH…), soit 15 à 20 % de la population. BNP Paribas, Deloitte, EY ou encore SAP ont mis en place des mesures pour mieux capter ces profils dans leurs recrutements et mieux les intégrer, ce qu'ont récemment mis en exergue deux chercheurs de l'Ieseg. La motivation de ces entreprises ? Une productivité accrue, une grande créativité, une culture et une réputation améliorées et une réduction du taux de rotation du personnel. Autre exemple : LinkedIn, qui a créé la compétence « pensée dyslexique » à renseigner sur son profil , l'an dernier.

La singularité a son importance. Peut-être encore plus dans un monde façonné par des intelligences artificielles proposant partout des contenus formatés. Le prospectiviste Olivier Desbiey, d'AXA, en est convaincu : « Apporter sa propre personnalité dans sa manière de travailler, de s'exprimer, de collaborer, savoir sortir du cadre avec une forme de spontanéité, d'audace est en train de devenir précieux pour les entreprises qui sont bousculées de toutes parts et doivent repenser leur horizon. »

Pour innover, des cerveaux (humains) imaginatifs seront utiles, c'est certain. Mais « on ne peut être créatif sans un vrai socle de connaissances », prévient Thierry Rayna, chercheur en management de l'innovation à l'Ecole polytechnique, qui alerte face à la tentation de ne plus apprendre en s'appuyant sur les IA génératives. Il prend l'exemple de l'aspirateur Dyson : « Pour inventer un tel modèle, il faut comprendre le fonctionnement d'un aspirateur et d'une centrifugeuse. Les IA, ce sont des statistiques, des algorithmes. Elles ne sont pas capables d'imaginer ce type d'invention. »

Julia Lemarchand et Laura Makary

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