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L’enquête

Le MBA est-il encore un tremplin vers les mégapromotions (et les salaires qui vont avec) ?

ENQUÊTE // Les demandes au niveau mondial de MBA sont en baisse pour la deuxième année consécutive. Pour autant, le diplôme phare des comités exécutifs n'a pas dit son dernier mot. En réalité, on assiste plutôt à une reconfiguration des modalités de suivi.

Selon sa dernière étude datant de 2015, le « Financial Times » a calculé que 31 % des directeurs des 500 plus grandes entreprises (en capitalisation boursière) étaient diplômés d'un MBA.
Selon sa dernière étude datant de 2015, le « Financial Times » a calculé que 31 % des directeurs des 500 plus grandes entreprises (en capitalisation boursière) étaient diplômés d'un MBA. (iStock)

Par Florent Vairet

Publié le 21 mars 2024 à 11:28Mis à jour le 21 mars 2024 à 14:45

Et si c'était à refaire ? « Sans hésiter ! » lâche Isabelle Pestourie. Elle a 30 ans quand, en 2017, elle commence son MBA à l'Insead, la prestigieuse école de commerce de Fontainebleau. Elle ne sait pas alors qu'elle va vivre « l'année la plus marquante » de sa vie, avec un impact inouï sur sa carrière au contact de participants du monde entier aux profils hétéroclites, des cadres américains, un gestionnaire de cliniques au Pakistan, un parachutiste israélien…

Même son de cloche dithyrambique du côté de Sébastien Orifici, sorti diplômé dix ans plus tôt de la même formation. « Un saut dans le vide pour une année d'une intensité dingue. » Lui reste marqué par la qualité des profs, « des stars dans leur domaine ». « On dépense une thune monstre pour se payer le MBA, mais je me souviens que chaque heure passée avec l'un d'entre eux en valait le prix. J'avais l'impression de ressortir grandi de chaque cours ! » A tel point qu'il deviendra lui aussi prof en école de commerce, parallèlement à son job.

Un doublement du salaire pour les diplômés HEC

Sébastien se rappelle aussi les profils sursélectionnés de sa promo. « Jamais un dîner où tu t'ennuies. J'avais même au début le syndrome de l'imposteur », se rappelle celui qui occupait pourtant un poste à responsabilité dans le secteur du conseil en organisation avant d'entrer dans la formation. « Cette année-là, j'ai vécu dans une colloc avec un Italien, un Indien, un Gallois, un Taïwanais, un Autrichien et un Sud-Africain. Après ça, on comprend le monde différemment. » Au cours du programme, il se retrouve à négocier avec un Russe. « J'ai alors compris ce qu'était la négociation… », lâche-t-il, laconique. Précisons que le MBA de l'Insead est classé 2e meilleur au monde selon le « Financial Times » et réussit ainsi à attirer énormément de non-Européens (63 %).

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Au sortir du MBA, Sébastien voit son salaire s'envoler en rejoignant le conseil en stratégie, jusqu'alors difficilement accessible avec son diplôme de l'Edhec (classée à l'époque 5e au niveau national). « Les cabinets venaient nous chercher directement à l'Insead », témoigne-t-il. Mais un an plus tard, en 2006, il bascule déjà dans un autre secteur, l'industrie. Et dix ans plus tard, il sera nommé directeur de la stratégie de Schneider Electric France.

Car là réside l'intérêt de la fameuse estampille « MBA » sur un CV : un rebond possible partout, ou presque. « La reconnaissance de ce diplôme par les entreprises est telle qu'il peut permettre le fameux 'triple jump' : un changement de fonction, de secteur et de géographie. Seul le MBA le permet », estime Sara Vanos, directrice exécutive des admissions pour les programmes MBA de HEC Paris.

Et c'est sans parler du salaire. L'école de commerce de Jouy-en-Josas (dont le MBA est classé 12e par le « Financial Times ») a pu mesurer que ses alumni doublaient leur rémunération une fois le diplôme en poche.

Les MBA en deux ans en perte de vitesse

Pourtant, le MBA, qui fête en 2024 ses 116 ans, a connu une légère baisse d'attractivité. « Les candidatures aux MBA à travers le monde ont diminué en 2023 pour la deuxième année consécutive, chutant d'environ 5 % sur un an », note le « Financial Times » dans son analyse corollaire au classement 2024 publié en février. C'est en particulier les MBA en deux ans (la formule historique) qui souffrent le plus.

« Les Echos START »

La London Business School (LBS), historiquement présente sur le marché du MBA, s'est même fendue, dans un article du « FT » publié le 29 janvier, d'une déclaration qui fera date : « Le MBA a de belles années devant lui, mais le pic est désormais passé », a déclaré le vice-doyen de l'université anglaise.

Les experts pointent deux causes : une hausse importante des frais de scolarité des MBA (jusqu'à 100.000 euros à l'Insead ou HEC) et la longueur de la formation, historiquement deux ans. Dans un MBA, l'âge moyen des participants est de 30 ans. Il n'est donc pas rare que l'aspirant participant embarque sa famille dans le projet. Autrement dit, plus le programme est long, plus la facture est salée. « Aujourd'hui, il peut être plus difficile de se projeter sur une longue formation en présentiel quand il existe beaucoup d'autoformations en ligne ou que des formations plus courtes peuvent vous apporter des compétences », reconnaît Sébastien Tran, directeur général d'Audencia.

C'est ce qui a poussé la LBS à mettre récemment sur pied un MBA en un an (contre 15 à 21 mois dans sa formule historique).

Une baisse qui n'a rien d'un déclin

A HEC, on insiste sur une autre explication : le MBA est avant tout contracyclique. C'est un marché qui croît quand la conjoncture économique se dégrade. Pourquoi ? Parce qu'en période de croissance, les candidats sont plus recherchés par les entreprises et les salaires ont tendance à progresser. Il est donc tentant de rester sur le marché du travail et de bénéficier des hausses de salaire.

Quand la machine se grippe, se mettre en retrait un (ou deux) an(s) pour se former est un moyen d'attendre que les nuages passent tout en renforçant la valeur de son CV. C'est ce qui s'est passé durant la pandémie de Covid-19 où les demandes de MBA ont augmenté… avant donc de redescendre avec la reprise économique. Sara Vanos, de HEC Paris, veut rester optimiste : « Les demandes de MBA ont oscillé ces dix dernières années, c'est devenu normal. À moyen terme, nous n'anticipons pas de perte d'attractivité sur ce marché. »

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Les mauvaises nouvelles qui s'accumulent ces derniers mois sur le front de la croissance mondiale pourraient même augurer un retour en force du MBA. L'Insead (dont le programme est en un an) observe une hausse de 30 % des candidatures depuis 2023. Pour la première fois, une étude du GMAC (Graduate Management Admission Council) datée d'octobre 2023 révèle une demande plus importante pour les MBA en un an : 65 % des écoles proposant un MBA en un an ont vu une hausse des demandes l'année dernière, contre 48 % pour les formations sur deux ans. « Dans le monde, le nombre de MBA en deux ans reste plus important, mais la tendance est en train de s'inverser », assure Urs Peyer, directeur des programmes de l'Insead jusqu'au 1er mars de cette année, et fin observateur du marché des MBA.

Un diplôme de moins en moins valorisé en France

Quid des recruteurs ? Sont-ils toujours aussi séduits par un candidat diplômé d'un MBA ? Jeanne Segalen, à la tête du cabinet de recrutement qui porte son nom, spécialisé dans la chasse de cadres dirigeants, en doute. S'il a toujours été plus reconnu dans les entreprises américaines, « le MBA a tendance à être de moins en moins demandé dans les boîtes françaises », ressent-elle. Et d'ajouter : « Ces dernières n'ont d'ailleurs pas tendance à survaloriser ces profils en termes de salaires. » Sur le CV, les recruteurs français préfèrent lire INSP (ex-ENA) ou Polytechnique, des noms synonymes de puissants réseaux professionnels.

31 % de diplômés de MBA

Selon sa dernière étude sur le sujet, qui date de 2015, le « FT » a calculé que 31 % des directeurs des 500 plus grandes entreprises (en capitalisation boursière) étaient diplômés d'un MBA.

L'experte ajoute que la multiplication des offres de MBA a affadi le prestige du diplôme. « Désormais, davantage de personnes accèdent à ces programmes, et il est sans doute un peu moins valorisé sur le marché du travail », estime Jeanne Segalen. En revanche, les secteurs élitistes, comme la finance, connaissent les écoles de référence et trient le bon grain de l'ivraie.

Beaucoup d'écoles se sont mises sur le marché du MBA, espérant gagner en chiffre d'affaires et en notoriété internationale. Le classement QS, l'autre grand éditeur de classements aux côtés du « FT », a fait le compte : le nombre d'écoles proposant un MBA a été multiplié par plus de dix, entre le début des années 2000 et aujourd'hui. « L'offre est devenue n'importe quoi », s'emporte un recruteur.

Entre le MBA de la Wharton School (1er au classement 2024 du « FT ») et celui d'une petite école française, il y a peu de ressemblances, que ce soit sur le contenu, les intervenants ou le réseau. Les experts appellent donc à la vigilance face aux établissements dont la maigre notoriété n'apporte guère de valeur ajoutée au CV.

Toujours nécessaire aux Etats-Unis pour une promotion

En revanche, le MBA, surtout les reconnus, reste un sésame dans le monde anglo-saxon, « souvent indispensable pour obtenir une grosse promotion », assure l'associée du cabinet Segalen + Associés, qui effectue une cinquantaine de recrutements par an pour le compte de grandes entreprises.

En France, le MBA est toutefois intéressant pour les profils ayant un parcours universitaire, moins valorisé que le fameux consortium « classe prépa + grandes écoles ». Le MBA, en particulier d'une grande école reconnue, leur permettra d'intégrer un secteur exigeant, comme le conseil ou la finance. « Quant à un MBA à l'étranger, il pourra donner une forte coloration internationale aux CV un peu trop franco-français », ajoute Jeanne Segalen.

Le MBA, l'atout business des ingénieurs

Pour Isabelle, citée plus haut, le MBA a élargi ses horizons. Elle se sent plus libre d'explorer des voies professionnelles. « Mon MBA est un élément de réassurance fort dans mon CV, sur lequel je peux me raccrocher si je souhaite tenter des trucs », explique la femme de 37 ans. Une réassurance d'autant plus forte que le tampon Insead est un des plus reconnus.

Pour Marie (le prénom a été modifié), le MBA a surtout servi à renforcer les compétences. « En école de commerce, je n'ai pas beaucoup étudié… j'ai surtout géré mon asso. J'ai été diplômée avec un niveau en finance ridicule, alors le MBA m'a beaucoup aidée à me rattraper en gestion financière ou encore en méthode de valorisation des entreprises », confie, sous couvert d'anonymat, celle qui a eu un parcours professionnel en marketing. Aujourd'hui, elle est directrice adjointe de sa structure, qui a généré 15 millions d'affaires en 2022. Les ingénieurs aussi se montrent friands d'un MBA dans le but d'élargir leurs compétences, de passer d'un périmètre technique à une vision globale de l'entreprise et de viser, à terme, l'étage de la direction.

Après le MBA… place au DBA ?

DBA pour Doctorate of Business Administration. Il s'agit d'un mix entre des cours et un travail de recherche appliqué, pour améliorer les pratiques professionnelles dans un domaine précis. A la différence, un étudiant qui suit un doctorat (qu'on appelle PhD à l'international) ne cherche pas une solution concrète à un problème posé, son travail vise à apporter une contribution à l'état de l'art dans un domaine. « Le DBA est une tendance amorcée il y a une dizaine d'années, selon Sébastien Tran, directeur général d'Audencia. Dans le domaine du business, il concurrence le MBA, en particulier auprès des étudiants chinois, sensibles à la plus grande dimension académique du diplôme comparé au MBA. »

Florent Vairet

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