Un rapport souligne les fragilités juridiques de l'enseignement immersif des langues régionales

Un rapport de la chambre régionale des comptes de Bretagne portant sur l'association Diwan souligne les fragilités juridiques de l'enseignement immersif en langue régionale. Celles-ci portent sur l'extension des contrats d'association avec l'État, sur les contributions financières des communes et, surtout, sur le modèle même de cet enseignement.

C'est une première dont les conclusions vont donner quelques sueurs froides aux promoteurs de l'enseignement des langues régionales. La chambre régionale des comptes (CRC) de Bretagne vient, pour la première fois, de rendre un rapport sur un réseau d'enseignement immersif, en l'occurrence, l'association bretonne Diwan, dont une quarantaine d'établissements fédérés scolarisent plus de 4.000 élèves. Or pour la CRC, ce réseau est triplement fragilisé juridiquement. D'une part en raison de l'incertitude pesant sur le modèle de l'enseignement immersif. D'autre part, en raison des limites aux projets d'expansion du réseau dans le cadre de contrats d'association avec l'État. Enfin, sur la question des contributions financières communales versées aux écoles. Des constats qui valent pour les cinq autres réseaux d'enseignement immersif en langues régionales, qu'ils soient basque, occitan, alsacien, catalan ou corse.

L'immersion n'est pas la parité horaire

Dès les premières pages de son rapport, la CRC de Bretagne estime que l'enseignement immersif – qui consiste à utiliser la langue régionale comme langue véhiculaire pour les apprentissages ainsi que pour la vie scolaire – constitue "un choix pédagogique juridiquement fragile". En effet, si l'enseignement bilingue reposant sur un principe de parité horaire entre le français et la langue régionale est "l'une des deux formes d'enseignement autorisées tout au long de la scolarité par les dispositions juridiques en vigueur", les mesures de la loi du 21 mai 2021, relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, visant à consacrer l'enseignement immersif comme troisième forme ont été censurées par le Conseil constitutionnel sur le fondement de l'article 2 de la Constitution qui dispose que "la langue de la République est le français".

Certes, une circulaire du ministre de l'Éducation nationale du 14 décembre 2021 érige l'enseignement par immersion en "stratégie possible d'apprentissage de l'enseignement bilingue". Toutefois, la chambre observe que "sous réserve de l'appréciation du juge administratif, cette circulaire n'est pas de nature à doter l'enseignement immersif d'un fondement juridique opposable". Elle ajoute que la doctrine de l'administration "s'écarte, en outre, des dispositions de rang juridique supérieur […] s'agissant, notamment, des  principes de parité horaire [entre le français et la langue régionale enseignée, ndlr] ayant jusqu'alors prévalu".

Les annexes d'écoles en question

Le second problème de fond touchant à l'avenir du réseau Diwan, et par extension les autres réseaux d'enseignement immersif, relève de son expansion dans le cadre de contrats d'association avec l'État. Ici il convient de relever deux phénomènes. Tout d'abord, si elle a historiquement été portée par Diwan, l'offre d'enseignement bilingue français-breton est aujourd'hui majoritairement le fait de l'Éducation nationale et de l'enseignement privé catholique. Par ailleurs, la convention État-région pour la transmission des langues de Bretagne sur la période 2022-2027 se fixe pour objectif d'augmenter de plus de 50% en cinq ans le nombre d'élèves scolarisés en classes bilingues français-breton, alors que certaines années récentes ont vu une baisse du nombre d'élèves scolarisés dans le réseau Diwan. La CRC observe que si cet objectif "installe […] un contexte local propice au développement de l'enseignement bilingue", il "impose une progression sans commune mesure avec les tendances relevées ces dernières années, notamment dans le réseau Diwan".

Pour se développer, Diwan rencontre un obstacle de taille : l'absence de fondement juridique permettant les projets d'extension de son réseau dans le cadre de contrats d'association avec l'Éducation nationale. En effet, une école privée doit avoir fonctionné cinq ans hors contrat avant de pouvoir signer un contrat d'association avec l'État et de bénéficier de l'affectation d'enseignants de l'Éducation nationale ainsi que des contributions des collectivités locales. Afin d'ouvrir de nouvelles écoles tout en passant outre cette obligation des cinq ans d'existence, une école peut soumettre plusieurs sites installés dans une même commune à un cadre de gestion commun. Mais pour s'implanter dans d'autres communes, elles ont recours à des établissements annexes qui, par dérogation, intègrent le contrat d'association de leur école de rattachement après un délai de deux ans. Or, souligne la CRC, "cette notion d'annexes ne repose sur aucun fondement juridique autre que la pratique conventionnée entre 2014 et 2020 avec les rectorats de Rennes et de Nantes". Une convention qui n'avait pas encore été renouvelée mi-2023…

L'extension du réseau est encore entravée par les difficultés de recrutement à des postes de direction. L'exercice des fonctions de directeur d'établissement est en effet conditionné à une expérience de direction, d'enseignement ou de surveillance d'au moins cinq ans dans un établissement public ou privé. Selon le président de Diwan, les personnels remplissant les conditions requises sont peu nombreux.

Un forfait scolaire non obligatoire

Dernière insécurité juridique mise en avant par la CRC : les contributions financières communales versées aux écoles qui, pour l'enseignement des langues régionales, dérogent au droit commun. Selon la loi du 21 mai 2021 toujours, cette participation financière à la scolarisation des enfants dans les établissements privés du premier degré sous contrat d'association dispensant un enseignement de langue régionale doit faire l'objet d'un accord entre la commune de résidence et l'établissement d'enseignement situé sur le territoire d'une autre commune, à la condition que la commune de résidence ne dispose pas d'école dispensant un enseignement de langue régionale. Si ce texte paraît clair, la circulaire du 14 décembre 2021 l'a quelque peu obscurci en affirmant que la loi "oblige les communes de résidence qui ne disposent pas d'écoles bilingues à contribuer aux frais de scolarité des élèves concernés dans les écoles privées sous contrat proposant un enseignement bilingue". Or, pointe le rapport de la CRC, alors que Diwan promeut auprès de son réseau la position de cette circulaire, celle-ci "contredit les dispositions de rang législatif établissant le caractère non obligatoire du financement des écoles primaires par le forfait scolaire". L'enjeu n'est pas mince : selon Diwan, une trentaine de communes ne verseraient pas la totalité des participations attendues et les montants en jeu atteindraient plusieurs centaines de milliers d'euros.

Selon le rapport de la Cour des comptes sur l'enseignement privé sous contrat de juin 2023, les six réseaux d'enseignement en langue régionale immersifs – Seaska (basque), La Bressola (catalan), Diwan (breton), Calendreta (occitan), ABCM‐Zweisprachigkeit (alsacien) et Scolacorsa (corse) – scolarisaient en 2021, 14.244 élèves dans 188 établissements. Outre les contraintes juridiques, ces réseaux sont également en butte aux contraintes budgétaires de l'Éducation nationale pour recruter des enseignants.