Quand on demande à Armelle pourquoi elle a mis ses deux enfants dans le privé, elle parle de sa propre enfance. « Je me suis souvenue de mon passage dans le privé en CE1, après un CP difficile dans le public avec la méthode globale, du contraste avec ma nouvelle classe toute calme, tenue par une religieuse. Alors j’ai voulu la même chose pour mes enfants : du calme et des méthodes classiques. » Qu’importe que la méthode globale ait disparu dans le public depuis longtemps, ou que les religieuses soient devenues rares dans le privé. Comme de nombreux jeunes parents, Armelle est venue chercher à l’école privée catholique un cadre rassurant et des « valeurs traditionnelles », deux motivations fréquentes, selon un récent sondage de l’Association des parents d’élèves de l’enseignement libre, l’Apel.

« Peu de parents disent venir pour l’Évangile en tant que tel, reconnaît Vivien Joby, à la tête du groupe scolaire La Providence, à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). Mais en creux, ils plébiscitent notre identité catholique, qui se traduit par l’attention aux élèves. Nos familles considèrent qu’on s’occupe bien de leurs enfants. »

À l’heure où les incertitudes sur l’avenir sont nombreuses, certains parents voient dans ces écoles une offre éducative rassurante, et une façon de donner « le meilleur à leurs enfants ». La Cour des comptes, dans un rapport de 2023, pointait aussi le poids des difficultés du public dans ce succès du privé. Les magistrats expliquaient avoir visité des établissements sous contrat, dans le cadre de leurs travaux. « Pour les parents rencontrés lors de ces visites, les établissements publics font souvent figure de repoussoir », notaient les juges. Ces familles avaient trouvé dans le privé une forme de refuge après que leur enfant a été confronté, dans le public, à des problèmes « de sécurité, à l’insuffisance des remplacements en cas d’absence des enseignants ou à la moindre personnalisation des relations avec l’équipe pédagogique ou de direction », listait la Cour.

Une capacité à répondre à des attentes différentes

Les établissements estiment, eux, que leur succès s’explique surtout par la souplesse, qui permet de s’adapter aux demandes des familles aujourd’hui en quête d’aide éducative pour leurs enfants. «Nous sommes face à un changement de société évident, les parents qui viennent chez nous cherchent des valeurs, des références », estime Catherine Redon, cheffe d’établissement de Notre-Dame de Bellegarde, près de Lyon (Rhône). Or, grâce au statut particulier du privé, qui bénéficie d’une liberté pédagogique et d’une autonomie accrue, il peut coller aux demandes dans l’air du temps, qu’elles concernent le bien-être des enfants, la performance scolaire ou encore… l’écologie.

Chaque établissement catholique est, en effet, régi par un projet d’établissement qui lui est propre et auxquels les parents doivent adhérer au moment de l’inscription. Le développement intégral de l’enfant, c’est-à-dire intellectuel, humain, spirituel, y est central, quitte à ce que ce grand principe se décline de façons très diverses selon les écoles. Par exemple, Notre-Dame de Bellegarde est un établissement écolabellisé dont tout le projet pédagogique est irrigué par l’encyclique Laudato si’.« Nous l’avons décliné en trois axes : apprendre à prendre soin de soi, des autres et du bien commun », liste Catherine Redon. De là ont germé des tas de projets pédagogiques : relaxation, yoga, mais aussi visites de la synagogue et de la mosquée voisines, « afin de connaître l’autre ». Sans compter divers projets solidaires : cross pour financer une école à Ouagadougou, pyramide de boîtes de conserve pour les Restos du cœur, ou carnaval avec les résidents d’un hôpital gériatrique…

Un statut particulier

Tout cela est possible grâce à l’autonomie des chefs d’établissement du privé. « Il me suffit de signer pour faire partir une classe en voyage scolaire au Liban ou remplacer un ordinateur dans la salle informatique. Nos collègues du public sont beaucoup plus contraints par les procédures, alors forcément ça les freine », avance Catherine Redon. « Nous avons les marges de manœuvre pour faire de nos classes des lieux d’expérimentation », confirme Lionel Fauthoux, à la communication des établissements lasalliens. Cette souplesse pédagogique est jugée « intéressante » par le neuropsychologue Johannes Ziegler, membre du conseil scientifique de l’éducation, qui confirme ce côté foisonnant. « Il est vrai que les enseignants du privé sont facilement partants pour mener des expérimentations dans leur classe. C’est stimulant », estime-t-il.

Vu du public, cette autonomie est perçue comme un atout, certes réel, mais qui ne serait que la partie émergée de l’iceberg. Didier Georges, secrétaire national du SNPDEN, principal syndicat des personnels de direction du public, concède que « le statut de chef d’établissement du privé est efficace », mais assortit aussitôt ce constat d’une réserve : « Ce n’est quand même qu’une partie de l’équation. C’est facile d’être bon quand on est autorisé à renvoyer dans le public les élèves qui ne font pas l’affaire. »

Beaucoup s’interrogent sur leurs pratiques

L’école privée se voit régulièrement accusée de creuser les difficultés du public, en attirant les meilleurs éléments. Ce reproche, très relayé ces derniers mois par les syndicats d’enseignants, trouve un écho auprès de nombreux personnels du privé. Nombre d’entre eux s’interrogent sur leurs pratiques de sélection notamment. « Je constate que certains collègues, et pas seulement à Paris, accordent une très grande importance au comportement pour sélectionner leurs élèves, reprend Vivien Joby. Il va peut-être falloir que ça évolue. »

Certains parents avouent qu’ils risquent de payer au prix fort les restrictions d’accès à l’école privée, liées à l’afflux des candidatures. Pour Paul Vitart, père de deux enfants scolarisés à Caen et trésorier de l’Apel nationale, l’un des défis de l’enseignement catholique dans les années qui viennent sera de jouer le jeu de l’accueil de tous. « J’ose espérer que les chefs d’établissement ne sélectionnent pas qu’en fonction des notes. S’ils le font, l’enseignement catholique court à sa perte, car la société civile ne l’acceptera pas », lâche-t-il.

Ces questions, qui traversent la communauté éducative, ne semblent pas entamer la confiance des familles, qui plébiscitent l’école de leurs enfants, comme le montre encore le sondage de l’Apel. Les récentes polémiques qui ont porté, par exemple, sur Stanislas à Paris, n’y ont rien changé. « Certains parents sont agacés, d’autres peut-être en colère, mais l’immense majorité ne reconnaît absolument pas l’école de leurs enfants dans la caricature qui en est faite », juge Gilles Demarquet, le président de l’Apel.