Philippe Delorme est amer. « Nous accuser est devenu la nouvelle manne de vieilles ligues qui essaient de se donner une nouvelle jeunesse sur un combat d’arrière-garde », cingle le président du Secrétariat général de l’enseignement catholique (SGEC), en réponse aux assauts dont il estime l’école privée injustement victime. Sans doute la question du financement public de l’enseignement privé, relancée mardi 2 avril par le vote en commission d’un rapport parlementaire mettant en lumière les dysfonctionnements du privé, n’est pas dénuée d’arrière-pensées politiques. Mais il n’a pas été rédigé par le seul député LFI Paul Vannier. Christopher Weissberg, de la majorité, l’a signé aussi.
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Il y a un an, c’est la Cour de comptes qui déplorait le manque de contrôle de l’Etat sur les écoles privées. Et les Français s’interrogent. Notre sondage Odoxa* montre que 54 % d’entre eux préféreraient scolariser leurs enfants dans le privé, à l’instar d’Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l’Education d’un temps, qui avait fait scandale pour l’avoir dit. Mais la moitié des sondés considère qu’il n’y a « pas de raison que l’Etat finance l’école privée avec les impôts de tous les contribuables ». Alors, pourquoi rallumer la bonne vieille guerre scolaire ?
Plus de 10 milliards d'euros pour le privé
D’abord parce que les moyens publics consacrés au privé, 10,4 milliards d’euros en 2022, sont lourds. « Et encore, dénonce Paul Vannier, c’est sans compter les investissements des collectivités locales. » Comme les 900 000 euros de la région Ile-de-France pour les ascenseurs pour handicapés du lycée parisien Stanislas. « Sans compter aussi la déduction fiscale des dons reçus par les établissements. » Impossible de consolider les sommes léguées, mais un ancien du secteur se souvient du fund raising d’un lycée huppé de l’ouest parisien, en quête de 28 millions d’euros pour un projet immobilier : « En une soirée, il avait récolté 17 millions… dont 14 d’un donateur unique, patron du CAC 40, qui y scolarisait ses enfants. » Les coopératives des écoles publiques aimeraient sans doute compter de si généreux parents d’élèves…
La dualité du système, reconnue par la loi Debré (1959), est ainsi devenue une source d’inégalité. D’autant plus criante que la justice a obligé, en 2022, le ministère de l’Education à publier les indices de position sociale de tous les établissements scolaires. Les chiffres, sans appel, révèlent l’ampleur de la fracture : en 20 ans, la part des élèves très favorisés a bondi de 26 à 40 % dans les collèges et lycées privés, tandis que celle des milieux pauvres a chuté de 25 à 16 %. Et inversement dans le public.
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La baisse démographique, amorcée il y a trois ans, exacerbe encore le phénomène. « On retire des moyens au public car il y a moins d’élèves, mais le privé qui recrute les siens où il veut, peut maintenir ses effectifs et donc ses moyens », regrette un haut cadre. Les projections sur Paris de l’économiste Julien Grenet, de l’Ecole d’Economie de Paris, en montrent l’effet pervers : à l’horizon 2034, le privé scolarisera plus de la moitié des élèves parisiens en 6e et 76 % de ceux provenant de familles favorisées. Et le protocole signé par le SGEC l’an dernier pour augmenter la mixité sociale de ses écoles, qui comptent deux millions d’élèves (96% des effectifs du privé sous contrat), ne prévoit ni contrainte ni sanction.
Des initiatives locales pour limiter la tendance
Devant l’impuissance de l’Etat, les autorités locales se mobilisent. A Paris, le recteur Christophe Kerrero a obtenu, avant sa démission, une baisse de moyens inédite (78 postes en moins) pour la rentrée 2024 du privé. A Marseille, la mairie a récupéré un million d’euros destiné aux écoles catholiques auprès de l’évêque. Des arrangements, qui virent parfois au bras de fer. La décision de la mairie de Paris de retirer sa subvention de 917 000 euros au lycée Stanislas, si elle se confirme, fera l’objet d’une action judiciaire. Comme à Dijon, où la municipalité rechigne à verser la totalité du forfait communal aux écoles privées.
Mais face à la vindicte qui monte, le privé réagit. A la rentrée, des directions diocésaines ont demandé à leurs chefs d’établissement d’être « irréprochables ». Tous travaillent sur une contribution différenciée des familles selon leur revenu. « Elle sera établie dans la moitié de nos écoles d’ici trois ans », promet Philippe Delorme. Un signe de bonne volonté pour ne pas laisser le champ libre à l’imagination débordante des parlementaires ? S’il ne réclame pas l’abrogation de la loi Debré, le rapport Vannier reprend la proposition choc du sénateur communiste Pierre Ouzoulias : moduler les subventions publiques selon le degré de mixité.