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Réforme du concours de recrutement des enseignants en 2025 : Macron veut «mieux former», les syndicats sceptiques

Les épreuves interviendront «à la fin de la licence», soit à bac + 3 au lieu de bac + 5 actuellement, a déclaré ce vendredi 5 avril le chef de l’Etat lors d’un déplacement dans une école à Paris.
par Sylvain Mouillard
publié le 5 avril 2024 à 13h17
(mis à jour le 5 avril 2024 à 17h42)

Un nouveau chambardement dans la formation des enseignants, pour tenter de remédier à la crise des vocations qui frappe l’Education nationale. Emmanuel Macron a annoncé ce vendredi 4 avril lors d’un déplacement dans une école parisienne la réforme à partir de 2025, avant une montée en puissance les années suivantes, du concours de recrutement des futurs professeurs, du premier comme du second degré. Le concours sera donc passé au niveau bac +3, à la fin de la licence, au lieu de bac +5 actuellement. Les recrues poursuivront leur formation en master 1 comme élèves fonctionnaires, bénéficiant à ce titre d’une rémunération de 1 400 euros net par mois. En M2, ils seront fonctionnaires stagiaires payés 1 800 euros net par mois. Un «master professionnalisant», présenté comme l’«Ecole normale du XXIe siècle» par le locataire de l’Elysée, qui a fait main basse sur le dossier de l’éducation, son «domaine réservé».

Le projet doit permettre, selon Emmanuel Macron, «de bien mieux former, de mieux préparer […] et de mieux reconnaître aussi nos compatriotes qui veulent s’engager dans ce métier». «On voit bien que le système qu’on a adopté ces dernières décennies n’était sans doute pas le meilleur. Pourquoi ? Parce qu’en fait, il faisait naviguer les enseignants pendant cinq ans post-bac avec des filières qui étaient diverses et variées.» L’exécutif vise un triple objectif : «Elever le niveau qualitatif de la formation des enseignants, mieux les préparer à l’exercice de leur métier», «renforcer l’attractivité du métier» et «répondre à la crise du recrutement». «On ne peut se satisfaire d’avoir un certain nombre de postes non pourvus», dit-on à l’Elysée.

Mur démographique

La rentrée de septembre 2023 s’était ainsi déroulée sous tension avec plus de 3 100 postes non pourvus aux concours du printemps précédent. Un peu mieux que le cru 2022, qui avait tourné à la catastrophe industrielle, avec quelque 4 000 postes vacants. La faute à une réforme datant de 2021 et imposant de passer les concours à la fin de la seconde année de master, et non plus de la première, qui avait contraint des bataillons d’étudiants à valider un an de scolarité supplémentaire avant de passer l’épreuve du feu. C’est donc un aveu d’échec du chef de l’Etat, qui défait ce que ses ministres (en l’occurrence Jean-Michel Blanquer) avaient mis en place.

Mais les chiffres sont cruels : lors des concours de 2023, 84 % des postes de professeurs des écoles avaient trouvé preneur. Un taux qui s’élevait à 78,2 % en 2022, mais atteignait 94,9 % en 2021. Côté Capes, les concours pour enseigner en collège et lycée, 82,4 % des postes avaient été pourvus, contre 77 % en 2022, mais 95,5 % en 2021. Et la perspective de départs en retraite massifs au cours des prochaines années n’incite pas à l’optimisme. Selon la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques), 329 000 postes d’enseignants seront à pourvoir d’ici à 2030, mais seuls 261 000 jeunes sortis d’études débuteraient dans ce métier. Soit un delta de 68 000 postes potentiellement non pourvus.

Pour les enseignants du primaire, l’exécutif mise fort sur le développement d’une licence spécifique, baptisée LPPE (licence préparatoire au professorat des écoles), que l’Elysée souhaite «plus professionnalisante» et davantage centrée sur les «méthodes pédagogiques, la posture et les gestes professionnels». A terme, 80 % des étudiants reçus au concours devraient en être issus, et 20 % des autres filières, selon les estimations. Côté secondaire, les élèves continueront à suivre une licence disciplinaire (mathématiques, histoire-géographie, etc.) avant de passer le concours. Guislaine David, porte-parole du Snuipp-FSU, syndicat majoritaire chez les enseignants de primaire, n’est pas emballée par les annonces présidentielles. D’abord car elle craint que cette nouvelle licence LPPE ne resserre le vivier de candidats : «J’ai beaucoup de doutes sur le fait que de jeunes bacheliers veuillent à coup sûr devenir professeur et se lancent dans cette formation très spécifique.» Et de redouter, également, qu’en limitant les passerelles pour des étudiants d’autres filières ou des personnes en reconversion professionnelle, on ne se prive d’autant de «candidats potentiels».

Mais Guislaine David voit aussi d’un mauvais œil les contours de la formation, tels qu’esquissés par Emmanuel Macron : «On a l’impression d’une volonté de reprise en main de l’Education nationale et d’un affaiblissement des contenus de formation. Il faut des savoirs académiques pour devenir professeur. Or, avec ce projet, les enseignants sont vus comme des exécutants, pas comme des concepteurs. Comme s’il leur suffisait d’avoir les bons manuels et les bonnes fiches pratiques.»

«Beaucoup de gens démissionnent très vite»

Et face à la «crise structurelle» du recrutement, ainsi que la décrivait il y a quelques mois dans Libération Pierre Périer, sociologue et professeur de sciences de l’éducation à l’université Rennes-II, les syndicats souhaiteraient que le gouvernement active d’autres leviers que celui du recrutement. «La rémunération pour les étudiants de master est une bonne chose, concède Guislaine David. Mais il faut faire davantage pour améliorer les conditions de travail : l’attractivité passera par le fait de pouvoir exercer son métier sereinement.» Même constat chez Cécile Suel, secrétaire-nationale du SE-Unsa : «La réforme peut avoir des effets positifs, sous réserve que les professeurs puissent entrer progressivement dans le métier, avec les moyens nécessaires. Parce qu’aujourd’hui, beaucoup de gens craquent et démissionnent très vite.»

Dernier facteur d’attractivité : la rémunération des professeurs. «Emmanuel Macron avait fait la promesse de revaloriser les salaires de 10 %, qu’il n’a pas tenue», regrette Cécile Suel. «Des efforts ont été fournis pour les personnels en début de carrière, mais rien n’a été fait pour ceux en milieu ou fin de carrière, abonde Guislaine David. Forcément, ça freine aussi les vocations quand il faut quinze ans pour passer de 2 000 à 2 400 euros mensuels.» De tout cela, Emmanuel Macron n’a pas parlé vendredi.

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