Le rituel est devenu immuable. Chaque semaine, Erwan Chapelière ou sa collègue Cécile Gauthière relèvent le temps d’écran des élèves de la classe de seconde dont ils sont professeurs principaux. Les deux enseignants d’EPS du lycée Jacques-Feyder d’Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) installent une boîte sur un chariot et se placent à l’entrée de la salle. Les élèves montrent tour à tour leur téléphone sur lequel est inscrit leur temps moyen d’écran puis l’éteignent et le mettent dans la caisse pour toute la durée du cours.
Certains tentent bien de ruser face à cette manière singulière de faire l’appel : « Il est cassé », « Il n’a plus de batterie », « Je l’ai oublié »… Mais ce jour-là, Erwan Chapelière, crayon et carnet en main, reste implacable. Il égrène les temps recensés et commente : « 4 h 24, tu as baissé, c’est bien », « 6 h 59, faut que tu fasses un effort », « 7 h 15, Yassine tu te relâches… Tu as réinstallé TikTok ? Tu restes jusqu’à 19 heures aujourd’hui ».
Les élèves connaissent l’enjeu. Erwan Chapelière a expliqué, dès la rentrée, à ces lycéens et à leurs familles, le projet qu’il mène depuis trois ans. « Après les confinements, en 2020, j’ai vu mes élèves revenir avec de l’embonpoint et de nouvelles habitudes. Certains avaient du mal à lâcher leur téléphone pendant le cours. J’ai décidé d’agir pour leur santé et leur scolarité », relate le professeur.
« Je l’utilise tellement trop »
Il met au point des règles strictes : en dessous de quatre heures par jour en moyenne sur le téléphone, aucune conséquence. Entre quatre et six heures, les élèves devront venir une heure en plus dans la semaine, au lycée, pour pratiquer une activité sportive ou faire leurs devoirs. Entre six et huit heures, ce sera deux heures et au-delà de huit heures, trois heures supplémentaires. Lorsqu’il a créé le dispositif, l’enseignant se sentait un peu seul face « à ce fléau ».
Depuis, le sujet interpelle jusqu’au sommet de l’Etat : Emmanuel Macron a mis en place une commission sur l’exposition des jeunes aux écrans qui doit rendre ses conclusions ce printemps. La mort d’un adolescent à Viry-Châtillon (Essonne) et l’agression d’une collégienne à Montpellier, début avril, remettent également en avant la question de l’influence des réseaux sociaux dans les phénomènes de violence entre jeunes. Nicole Belloubet plaide, elle, pour une pause numérique totale au collège, alors que le portable y est déjà interdit mais que les élèves gardent l’appareil avec eux.
En ce lundi après-midi du mois de mars, entre les ateliers d’équilibre sur un rola-bola, un fil ou une boule de ce cours d’EPS consacré au cirque, les adolescents racontent leur rapport à leur téléphone, omniprésent dans leurs vies. Les sacs de frappe, au fond de la salle, rappellent que les vingt-quatre élèves de cette classe suivent une option boxe de trois heures par semaine. Cet intérêt pour le sport n’empêche pas les lycéens d’être très dépendants de leur smartphone.
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