Délégation d'actes aux ASV : passage imminent au Parlement, fruit d'un long cheminement collectif

C'est la pénurie de vétérinaires constatée depuis plusieurs années au sein du secteur vétérinaire qui a incité la profession vétérinaire à accélérer sur ce dossier.

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Michel JEANNEY

Exercice

En débat depuis plus de 15 ans au sein de la profession vétérinaire, la possibilité de déléguer certains actes aux auxiliaires spécialisés vétérinaires entre enfin dans une phase plus concrète : le ministère de l'Agriculture a transmis au Conseil d'État le projet de loi d'orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture, qui intègre, en son article 7, des mesures ouvrant la voie à cette délégation.

Son examen par le Parlement est imminent. Cette étape nécessitera une vigilance de tous les instants pour éviter que le texte ne soit vidé du sens que les organisations professionnelles vétérinaires (OPV) y ont mis collectivement, préviennent les OPV.

Deux niveaux d'actes

Deux niveaux d'actes délégables sont prévus. Si la liste des actes de premier niveau semble finalisée, ce n'est pas le cas de la liste des actes de second niveau

La réalisation de ces actes s'effectuera au sein des établissements de soins et sous la responsabilité d'un vétérinaire, par des auxiliaires justifiant de compétences certifiées.

Modalités de formation en cours de construction

Les modalités de formation et de reconnaissance des auxiliaires pouvant prétendre à la délégation sont en cours de co-construction.

Une fois le texte de loi promulgué, viendra ensuite le temps des décrets et de l'arrêté qui fixera la liste des actes délégables.

C'est la pénurie de vétérinaires constatée depuis plusieurs années au sein du secteur vétérinaire qui a incité la profession vétérinaire à accélérer sur ce dossier. D'abord rejetée, l'idée de délégation a fini par se frayer un chemin chez les vétérinaires, pour certains réticents.

De leur côté, les auxiliaires attendent un dispositif susceptible de valoriser leur évolution professionnelle, notamment en termes de rémunération.

« Le SNVEL travaille sur ce sujet depuis très longtemps »

La délégation d'actes vétérinaires aux auxiliaires spécialisés vétérinaires est un sujet qui fait débat dans la profession depuis plus de 15 ans et le SNVEL* y travaille depuis très longtemps. Pour lui, le passage au Parlement est une étape nécessaire mais qui nécessitera une vigilance de tous les instants pour éviter que le texte ne soit vidé du sens que la profession y a collectivement mis.

La Dépêche Vétérinaire : Le ministère de l'Agriculture a transmis au Conseil d'État le projet de loi d'orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture, qui intègre, en son article 7, des mesures ouvrant la voie à une délégation de certains actes, au sein des établissements de soins et sous la responsabilité d'un vétérinaire, à des auxiliaires justifiant de compétences certifiées. Ce projet de loi est donc le véhicule législatif tant espéré par les organisations professionnelles pour faire adopter cette mesure. Etes-vous impatients qu'elle soit votée ?

David Quint et Jérôme Frasson, vice-présidents du SNVEL* : La délégation des actes aux auxiliaires spécialisés vétérinaires est un sujet qui fait débat dans la profession depuis plus de 15 ans. D'abord principalement rejetée, l'idée a fait son chemin dans les esprits, renforcée par l'évolution des pratiques et sûrement plus récemment par le besoin accru révélé par la pénurie de vétérinaires disponibles pour réaliser ces actes.

Le SNVEL travaille donc sur ce sujet depuis très longtemps maintenant et voir aboutir le travail de plusieurs années est toujours intéressant, dès lors que les dispositions de la loi respecteront les volontés de la profession.

Le passage au Parlement est une étape nécessaire mais qui nécessitera une vigilance de tous les instants pour éviter que le texte ne soit vidé du sens que nous y avons collectivement mis.

D.V. : Quelles sont les raisons qui ont poussé le SNVEL à s'investir dans ce dossier ?

D.Q./J.F. : Comme déjà indiqué, cela fait plus de 15 ans que l'idée a germé dans l'esprit de quelques-uns. Cette idée n'a pas fait l'unanimité dès le début, loin de là. Mais le besoin de la minorité s'est progressivement élargi et les pratiques ont évolué.

Il est primordial que la profession soit à la maîtrise de ces évolutions et il paraît utile que le SNVEL, représentant tous les types d'exercice, préserve les intérêts de tous. C'est notre moteur.

Une autre raison concerne la fidélisation des auxiliaires vétérinaires dans nos établissements. En rendant leur métier plus attractif, nous espérons diminuer le turn over important des auxiliaires dans de nombreuses structures.

D.V. : Quels sont les garde-fous prévus pour éviter les dérives potentielles ?

D.Q./J.F. : Le texte prévoit une délégation de certains actes définis par arrêté aux auxiliaires vétérinaires salariés des structures, sous l'autorité médicale et la responsabilité d'un vétérinaire présent au sein de l'établissement vétérinaire.

D.V. : Ces actes feront-ils l'objet d'une liste positive et, si oui, où en est-on dans l'élaboration de la liste ?

D.Q./J.F. : Nous travaillons avec les organismes techniques (Afvac**, Avef*** et SNGTV****) à l'élaboration d'une liste d'actes délégables depuis plusieurs années.

Cette liste est finalisée. Elle servira de base pour la rédaction de l'arrêté.

D.V. : Pouvez-vous citer quelques exem­ples d'actes qui pourraient certainement figurer dans cette liste car ils font l'unanimité et d'autres qui sont encore en discussion ?

D.Q./J.F. : Comme déjà dit, la liste est quasi finalisée : les discussions ont déjà eu lieu.

A ce stade, la délégation ne concerne qu'un niveau d'actes simples, courants au sein des établissements vétérinaires et qui ne sont pas des actes chirurgicaux.

On parle pèle-mêle de la pose d'un cathéter intra-veineux, de la réalisation d'injections, de prélèvements biologiques.

D.V. : Quelles sont les prochaines étapes avant que la mesure ne puisse être appliquée dans les structures vétérinaires ?

D.Q./J.F. : Le projet de loi doit être adopté au Parlement où il faudra être particulièrement vigilant sur les éventuels amendements.

Une fois cette étape passée, le texte devra être promulgué et viendra ensuite le temps des décrets et de l'arrêté qui fixera la liste des actes délégables.

Nous co-construirons en parallèle avec les autres organisations professionnelles vétérinaires les modalités de formation et de reconnaissance des personnes pouvant prétendre à la délégation.

* SNVEL : Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral.

** Afvac : Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie.

*** Avef : Association vétérinaire équine française.

**** SNGTV : Société nationale des groupements techniques vétérinaires.

Jacques Guérin : « Le dossier est arrivé à maturité »

Le président du Conseil national de l'Ordre des vétérinaires estime que le dossier de la délégation d'actes vétérinaires aux auxiliaires vétérinaires est arrivé à maturité et que, désormais, les organisations professionnelles sont en attente de l'adoption de la loi. D'autres étapes seront nécessaires cependant avant que les auxiliaires spécialisés vétérinaires diplômés ne puissent accéder à la délégation selon les dispositions adaptées. Deux niveaux d'actes sont envisagés.

La Dépêche Vétérinaire : Le ministère de l'Agriculture a transmis au Conseil d'État le projet de loi d'orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture, qui intègre, en son article 7, des mesures ouvrant la voie à une délégation de certains actes, au sein des établissements de soins et sous la responsabilité d'un vétérinaire, à des auxiliaires justifiant de compétences certifiées. Quelle est la position de l'Ordre par rapport à cette mesure ?

Jacques Guérin, président du Conseil national de l'Ordre des vétérinaires : Les dispositions relatives à la délégation d'une liste d'actes vétérinaires fixée par arrêté à des auxiliaires spécialisées vétérinaires sous condition de reconnaissance des compétences, dans les locaux de l'établissement de soins vétérinaires pour les animaux qui y sont reçus et sous l'autorité médicale et d'employeur du vétérinaire dont la présence est requise physiquement dans les locaux ont fait l'objet d'un accord de principe de la part de l'Ordre des vétérinaires via le Conseil national, associé entre autres aux travaux préliminaires.

Il s'agit ni plus ni moins que de combler un vide juridique, le secteur des animaux de compagnie n'ayant pas été intégré au dispositif relatif à l'acte vétérinaire et les délégations associées, adopté en 2011 par le législateur.

D.V. : Où en est la concertation intraprofessionnelle sur le sujet ?

J.G. : Conscientes des enjeux, les organisations professionnelles ont démarré leurs réflexions dès 2018. Durant ces cinq années, la concertation s'est affinée pour aboutir à un co-portage du dossier auprès de la DGER*, de la DGAL** et de Monsieur le Ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Le processus s'est accéléré courant 2023 avec l'annonce d'un projet de loi d'orientation agricole susceptible d'embarquer les évolutions législatives nécessaires.

Je crois pouvoir dire que les organisations professionnelles vétérinaires sont en accord sur les modalités d'une délégation d'actes vétérinaires aux auxiliaires vétérinaires : les conditions de compétences qui induiront un référentiel de formation ; le lieu où les actes sont réalisés, en l'espèce, les établissements de soins vétérinaires ; la subordination des auxiliaires vétérinaires à l'employeur via le contrat de travail ; l'autorité médicale du vétérinaire qui a l'obligation d'être présent physiquement dans les locaux et qui assume la responsabilité civile professionnelle des actes dont il autorise la réalisation par une tierce personne figurant sur un registre national tenu par l'Ordre des vétérinaires.

Le dossier est arrivé à maturité. Les organisations professionnelles sont en attente de l'adoption de la loi.

D.V. : Quels types d'actes sont concernés ?

J.G. : Le dispositif envisage, par principe, deux niveaux d'actes vétérinaires pouvant être réalisés par les auxiliaires spécialisés vétérinaires figurant sur le registre national d'aptitude.

Bien entendu, la segmentation est fonction de la complexité des actes visés et, par conséquent, les compétences attendues seront renforcées pour les actes plus complexes. Un arrêté consolidera d'ailleurs chaque liste d'actes que le vétérinaire pourra autoriser sous sa responsabilité.

Dans un premier temps, les organisations professionnelles vétérinaires ont abouti sur la liste d'actes vétérinaires de premier niveau et sur les compétences associées. Ce sont les actes vétérinaires courants comme l'administration de médicaments vétérinaires (sauf ceux à administration vétérinaire exclusive), la pose d'une voie veineuse, l'assistance à l'anesthésie et aux soins intensifs, le recueil de prélèvements à des fins d'analyse, des soins simples. Aucun acte chirurgical n'est concerné.

La liste de deuxième niveau sera plus longue à se dessiner dès lors qu'elle demande d'abord de définir le bon niveau des compétences requises et donc la formation initiale visée.

D.V. : Quelles sont les prochaines étapes avant que la mesure ne puisse être appliquée dans les structures vétérinaires ?

J.G. : D'abord la loi devra être adoptée par le parlement et promulguée par le président de la République. Les décrets d'application devront suivre dans les mois suivants. Enfin, un arrêté fixera la liste des actes vétérinaires éligibles à cette délégation.

Ensuite, il convient d'organiser le dispositif de reconnaissance des compétences et la tenue du registre national d'aptitude.

Au surplus, un travail lourd doit être conduit pour rédiger le référentiel de formation, base de la formation initiale.

Une fois ce travail mené, un dispositif simplifié devrait permettre aux auxiliaires spécialisés vétérinaires diplômés d'accéder à la délégation selon des dispositions adaptées.

* DGER : Direction de l'enseignement et de la recherche (ministère de l'Agriculture).

** DGAL : Direction générale de l'alimentation.

« Les auxiliaires attendent la reconnaissance de leur compétence professionnelle »

La Dépêche Vétérinaire : Qu'attendent les auxiliaires vétérinaires du dispositif de délégation des actes que la profession vétérinaire est en train de mettre en place ?

Anne-Marie Lebis, auxiliaire salariée, membre de la commission mixte paritaire de la branche vétérinaire : Ils attendent la reconnaissance de leur compétence professionnelle qui est pour le moment impossible. En effet, ils savent qu'ils font des actes illégaux au regard de la loi en France.

Ils attendent aussi la revalorisation salariale qui devrait en découler, à partir du moment où ils seront autorisés à faire ces actes, car il n'y aura plus de raison de cacher leur activité et ils pourront en recevoir les fruits.

Ils attendent de voir quels moyens leur permettront de valider leurs compétences. Ils espèrent que ce ne sera pas un processus qui s'étirera en longueur.

D.V. : Des garde-fous sont prévus : formation certifiée, actes sous la responsabilité d'un vétérinaire et dans un établissement de soins. Qu'en pensez-vous ?

A.-M.L. : Une collègue m'a dit ceci : « Ce qui m'importe, c'est que la certification soit accessible aux ASV sans l'accord de leur employeur. En effet, je crains qu'un certain nombre d'entre eux empêche ou limite leur accès à la validation de leurs compétences pour ne pas être obligé de procéder à une revalorisation de leur salaire. Si les employeurs ont la possibilité de refuser l'accès à la validation, cela limiterait aussi les possibilités pour les collègues qui veulent changer de structure, car ils n'auraient pas cette validation qui sera peut-être rapidement demandée dans des offres d'emploi. »

Pour les auxilaires, il paraît normal de limiter les actes délégués au sein des structures vétérinaires.

Ils pensent nécessaire d'envisager un complément de formation lors de la formation initiale mais craignent les difficultés de valorisation salariale ensuite : la réalisation de ces gestes n'est pas demandée partout, alors où sera la limite de la reconnaissance salariale ?

Un ASV « technique » issu de la formation modifiée devrait recevoir un salaire en relation avec ses compétences mais, s'il ne pratique pas, comment le payer et comment pourra-t-il conserver ses compétences ?

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1701

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