Mercredi 8 novembre, à Berlin, le nouveau directeur général d'Air liquide François Jackow, 54 ans, a vécu son baptême du feu. Aux côtés du chancelier allemand Olaf Scholz et du PDG de Siemens Energy Christian Bruch, ce pur produit d'Air liquide a actionné le bouton symbolique lançant officiellement une des plus grandes gigafactories à hydrogène bas carbone du monde. D'ici à 2025, celle-ci pourra fournir 3 gigawatts, soit la production de deux EPR.
Issue d'une coentreprise avec Siemens, cette usine va fabriquer à grande échelle des modules pour les électrolyseurs avec une technologie ultramoderne de membranes à protons. Ils alimenteront dans un premier temps l'électrolyseur de 20 mégawatts d'Oberhausen (près de Düsseldorf) qui démarre à la fin de l'année. A partir de 2026, les cellules fourniront le site géant de Normand'Hy (200 MW) sur la zone industrielle de Port-Jérôme-sur-Seine (Seine-Maritime), puis deux autres de même taille aux Pays-Bas.
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"Avec cette unité, on crée une chaîne de valeur qui garantit la souveraineté européenne sur les électrolyseurs, se félicite le normalien entré dans le groupe en 1993. L'hydrogène renouvelable devient une réalité." Air liquide, qui dispose aujourd'hui de 200 stations-service dans le monde, compte investir 8 milliards d'euros dans les molécules bas carbone d'ici à 2035.
Une phase transitoire
"Notre chiffre d'affaires dans l'hydrogène (2 milliards d'euros) pourrait doubler ou tripler d'ici à la fin de la décennie", ajoute le dirigeant. Le pari de l'hydrogène avec Airbus est cependant loin d'être gagné. "Il faudra pouvoir accéder à l'énergie décarbonée et disposer d'une réglementation porteuse permettant de construire en Europe un écosystème complet", prévient François Jackow.
Il faudra aussi que les clients acceptent, comme c'est le cas pour les produits bio, de payer un surplus pour les biens à faibles contenus carbone. Un vrai casse-tête car aujourd'hui, hormis l'industrie cosmétique et quelques marques haut de gamme dans l'automobile, les candidats ne se bousculent pas au portillon.
"Nous sommes dans une phase transitoire", admet le patron d'Air liquide. Une phase qui correspond aussi à la situation de l'ancien directeur adjoint du groupe, aux manettes du géant des gaz industriels (près de 30 milliards d'euros de chiffre d'affaires) depuis maintenant seize mois.
Sixième boss d'Air liquide en 120 ans, ce père de trois enfants a la lourde tâche de succéder à son mentor Benoît Potier, dont le bilan est unanimement reconnu - en vingt ans, il a quintuplé la capitalisation boursière - et qui, en tant que président du conseil d'administration (jusqu'en 2026), fait toujours partie du paysage.
Poursuivre la success-story
Sans surprise, François Jackow dit qu'il n'est en rien entravé par l'emblématique Potier et que sa présence au même étage que lui, le septième, constitue une chance. "Quand je le souhaite, je peux solliciter son avis et bénéficier de son expérience", avance-t-il.
Depuis sa prise de fonctions, c'est le changement dans la continuité. Pas de départs au comité exécutif mais des permutations. "Une jeune génération a pris les commandes de l'Europe, de l'Amérique du Nord, de l'Asie", pointe celui qui a plus de rondeur que son prédécesseur. Seul fait notoire, la nomination d'une nouvelle directrice des ressources humaines issue de l'extérieur. Le signe qu'Air liquide a besoin de sang neuf? Possible.
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Reste enfin le business. Sur ce plan, pas de virage non plus, la compagnie délivre toujours une copie très propre. "La performance financière et extrafinancière est au plus haut niveau, fait valoir le patron à Challenges, en aparté de la présentation. La capitalisation atteint des records historiques. Nous avons plus de projets en portefeuille que jamais."
Le successeur de Benoît Potier est déterminé à poursuivre la success-story d'Air liquide. On l'a vu quand le maître de cérémonie, faisant allusion à sa passion pour la voile, lui a demandé: "Vous êtes dans un bateau avec Siemens, comment vous voyez-vous dans un an?" La réponse de François Jackow a fusé: "On remporte la régate."