Rouler pendant trente minutes pour accéder à la pharmacie la plus proche. C’est la situation dans laquelle se trouvent 3 à 5 % des Français habitant dans des territoires considérés comme « fragiles au regard de leur offre pharmaceutique », selon le syndicat de pharmaciens FSPF. Pour lutter contre cette difficulté d’accès aux soins, les sénateurs ont adopté jeudi 11 avril en première lecture une proposition de loi destinée à assouplir les conditions d’installation de nouvelles officines dans les zones rurales.

«Si la notion de déserts médicaux est souvent appréhendée sous l’angle du difficile accès aux médecins, on doit également s’inquiéter de la disparition régulière de pharmacies dans les zones à faible densité démographique », souligne l’exposé des motifs de ce texte déposé par la sénatrice des Hautes-Pyrénées Maryse Carrère (Parti radical de gauche). Ainsi, entre 2007 et 2023, 4 000 officines ont fermé, pour passer l’année dernière sous la barre des 20 000.

Seuil de 2 500 habitants

L’implantation d’une nouvelle pharmacie est aujourd’hui strictement encadrée par la loi et soumise à l’autorisation de l’agence régionale de santé (ARS). Une ordonnance de 2018 avait déjà assoupli la procédure de demande de création de nouvelles structures et autorisé le regroupement d’officines pour un ensemble de communes de 2 500 habitants. Ce bassin de population devait toutefois comporter une commune d’au moins 2 000 habitants.

Le texte de loi adopté en première lecture par les sénateurs jeudi propose de supprimer cette dernière condition. « Alors que la France compte 29 393 communes de moins de 2 000 habitants, cette nouvelle disposition méconnaît la réalité du terrain, notamment en milieu rural», justifient ainsi les sénateurs.

Déstabilisation du maillage territorial

Une proposition accueillie avec circonspection par les professionnels du secteur, qui souhaitent avant tout la « préservation de la stabilité du maillage territorial des officines» et son équilibre. « Lorsque nous avions été auditionnés par la sénatrice, nous lui avions fait part de notre réticence », avance Pierre-Olivier Variot, président du syndicat USPO, qui se dit « surpris » de l’adoption de la proposition de loi dans sa version initiale.

«À mes yeux, ce texte est dangereux à double titre : d’une part, il va déstabiliser le réseau et permettre l’implantation de nouvelles officines proches d’officines existantes, ce qui pourrait conduire à leur disparition, regrette-t-il. D’autre part, on va créer de la frustration car les pharmaciens ne pourront pas endosser les nouvelles missions qu’on leur confie », en référence à l’élargissement récent de leurs prérogatives à la prescription de traitements contre la cystite ou l’angine. Car le secteur connaît des difficultés à recruter. « L’amplitude horaire et la rémunération des petites ou moyennes officinesne font pas envie aux jeunes », reconnaît Fabien Dutet, pharmacien en Mayenne.

Promouvoir la fusion

Pour ce professionnel de santé, « cette proposition de loi ne résout rien» car « elle ne propose pas de financement». Or « les pharmacies en milieu rural vivent presque exclusivement de la vente de médicaments, contrairement aux pharmacies de ville qui fonctionnent grâce à la parapharmacie, et ce modèle économique ne tient plus aujourd’hui». Il estime plutôt qu’il faudrait « promouvoir la fusion des officines sur un territoire restreint, et mettre en place un financement ciblé de l’Assurance-maladie selon les zones concernées ».

L’ordonnance de 2018 prévoyait pourtant la mise en place d’une identification de « territoires fragiles » par l’ARS, pour garantir des financements aux pharmacies implantées dans ces zones. Le décret d’application n’a toutefois jamais été publié. Un texte de 2020 devait aussi permettre la mise en place d’antennes d’officines dans des communes où l’approvisionnement en médicaments de la population était « compromis », mais ces antennes n’ont pas vu le jour pour le moment. Pour Fabien Dutet, « le seul point positif de cette proposition, c’est que le législateur reconnaît qu’il existe une désertification médicale et pharmaceutique».