Comment les agences d’intérim montrent le chemin de la réinsertion
Actual et Adecco ont ouvert des filiales destinées aux personnes les plus éloignées de l’emploi. Avec des parcours sur mesure et des résultats probants.

« Ils m’ont sauvé. » Nassima, la quarantaine, est dithyrambique sur Ergos, entreprise de travail temporaire d’insertion, filiale du groupe Actual. Souriante et pleine d’énergie, cette jeune femme d’origine algérienne profite d’un jour de repos pour faire le point avec sa conseillère, Ameline Leblanc. Depuis qu’elle a franchi les portes de cette agence d’intérim à Laval (Mayenne) il y a un an, sa situation personnelle et professionnelle a radicalement changé. Ne parlant pas bien le français, sans diplôme et dans une situation familiale douloureuse, « Nassima cumulait des handicaps qui l’empêchaient de trouver un emploi, détaille Ameline Leblanc. Notre job a été de bâtir avec elle un parcours sur mesure de retour vers l’emploi. » Douze mois plus tard, Nassima a décroché un CDD dans une entreprise d’agroalimentaire. « Je suis indépendante grâce à mon travail », se réjouit-elle.
Les agences d’intérim spécialisées dans la réinsertion, solution miracle pour les personnes éloignées de l’emploi ? Affirmatif, répond la Cour des comptes dans un rapport de 2019, qui loue leur efficacité pour l’accompagnement des chômeurs de longue durée et des plus précaires. Le taux de retour à l’emploi d’une personne passant par une entreprise de travail temporaire d’insertion s’élève à 47 %, devant les entreprises d’insertion (38 %) ou les chantiers d’insertion (27 %).
L’avantage de la flexibilité
Autre chiffre encourageant : selon le ministère du Travail, le temps moyen passé dans une entreprise de travail temporaire d’insertion avant de retrouver un emploi stable est de 11,3 mois, soit légèrement moins que pour un chômeur accompagné par France Travail, toutes catégories confondues (12 mois).
Pour l’heure, moins de 40 000 personnes sont prises en charge, soit l’équivalent de 7 % des demandeurs d’emploi depuis plus d’un an. « L’insertion par l’activité économique est un moyen efficace de réinsérer les chômeurs de longue durée », abonde Marc Ferracci, député Renaissance et économiste spécialiste de l’emploi.
Ces bons résultats ne sont pas le fruit du hasard. Ils s’expliquent par un savant cocktail entre suivi rapproché par un conseiller, formation et retour immédiat dans l’entreprise. Le travail temporaire, souvent critiqué pour sa précarité, devient ici un avantage. « La flexibilité de l’intérim permet à une personne de tester plusieurs métiers dans des secteurs d’activité différents », affirme Mohamed Ali Tarchoun, directeur à Paris d’une agence Humando, filiale dédiée à la réinsertion du leader du travail temporaire Adecco.
Un conseiller pour quinze personnes
Les missions d’intérim permettent en plus de gagner un premier salaire plus rapidement que via une recherche d’emploi traditionnelle. « C’est valorisant pour ces publics de constater que le travail paie mieux que le chômage ou les minima sociaux », poursuit-il.
Au cœur du travail temporaire d’insertion, il y a surtout l’accompagnement renforcé des personnes. Tout est fait pour lever les freins à l’emploi comme les problèmes de logement ou de mobilité. Pour Adam Ali Moubarak, un réfugié soudanais, la rencontre avec les équipes de l’agence Humando a été déterminante. Grâce à leur aide, il a pu déposer un dossier à Action Logement pour louer un appartement à Paris et en finir avec les chambres d’hôtels bas de gamme et coûteuses. « Sécuriser un logement, c’est primordial dans la réussite d’un parcours de réinsertion », relève Sébastien Moriceau, directeur général opérationnel d’Humando.
Viennent ensuite les problèmes de mobilité ou de garde d’enfant. Là encore, les conseillers d’insertion aident au financement du permis de conduire ou à la recherche d’une place en crèche. Un suivi au plus près qui nécessite des moyens humains très élevés. Chez Humando et Ergos, qui disposent respectivement de 67 et 100 agences en France, un conseiller insertion s’occupe d’une quinzaine de personnes, quand un agent de France Travail suit en moyenne 350 chômeurs !
Une enveloppe gelée en 2024
Autre clé du succès : l’offre de formation. « Nous avons des équipes spécialisées dont la mission est de bâtir des plans de formation personnalisés pour chaque intérimaire, décrit Hichem Azaiez, le directeur régional Ile-de-France d’Humando. C’est un vrai plus car la personne prise en charge alterne dès les premières semaines des missions en entreprise et des formations courtes ou longues. Il n’y a pas de temps mort. »
A en croire l’expérience d’Adam Ali Moubarak, c’est efficace : quelques mois après être entré chez Humando, il a débuté un CAP d’électricien en alternance. « J’ai de la chance car j’apprends un métier où il y a du boulot », s’enthousiasme-t-il. Côté entreprise, on apprécie aussi. « Les intérimaires en réinsertion sont très souvent plus motivés que les intérimaires classiques », témoigne Nicolas Leroy, patron d’une PME de conception de paysage.
Reste que le modèle n’est pas viable sans le soutien financier de l’Etat. En effet, les entreprises de travail temporaire d’insertion touchent 4 430 euros par an pour chaque intérimaire employé à temps plein dans la limite de deux années. « Sans les aides de l’Etat, on ne pourrait pas embaucher le nombre de conseillers suffisant pour assurer un suivi de qualité », confirme Bruno Planchais, directeur insertion d’Actual.
Certes, les crédits alloués au secteur de l’insertion par l’activité économique ont augmenté ces dernières années, passant de 900 millions en 2019 à 1,3 milliard d’euros en 2022. Mais compte tenu de la dégradation des finances publiques, l’enveloppe a été gelée en 2024. En intérim ou ailleurs, combattre le chômage de longue durée coûte très cher.
Une carte à jouer pour les services publics
Pas des concurrents, des partenaires. France Travail fait appel aux entreprises de travail temporaire d’insertion pour l’aider à accompagner des personnes trop éloignées de l’emploi. C’est même l’organisme public qui oriente vers Ergos, la filiale spécialisée d’Actual, les trois quarts des chômeurs qu’elle prend en charge. « Nous considérons que c’est une bonne solution, appuie Catherine Duperoux, responsable des coopérations pour l’insertion chez France Travail, car le retour progressif en entreprise via des missions d’intérim est un bon levier pour retrouver un emploi durable. »
Pour autant, tous les chômeurs de longue durée ne peuvent intégrer une entreprise de travail temporaire d’insertion. « Comme notre méthode consiste à placer très rapidement les personnes dans des entreprises, il faut qu’elles soient aptes à travailler », note Bruno Planchais, le directeur insertion d’Ergos. En clair, les chômeurs qui ont de trop lourdes difficultés personnelles – santé, troubles psychologiques, addiction, endettement… – restent pris en charge par France Travail. Pour ces personnes, l’opérateur public instaure un suivi sur le long terme réalisé par un travailleur social du département et un conseiller France Travail spécialisé. Une autre voie vers la réinsertion.
Newsletter
Recevez les analyses et les exclusivités de la rédaction directement dans votre boite mail.
DÉCOUVRIR