Manon* est amère. Etudiante en dernière année à l’Iéseg, elle a intégré cette école post-bac réputée quelques mois avant la crise sanitaire : « Outre les visios en boucle, j’ai été déçue par les enseignements qui se sont délités au fur et à mesure. En master, je n’avais plus que deux à quatre heures de cours par jour, contre plus du double les premières années. Certaines matières techniques comme l’économétrie étaient enseignées en ligne, sans professeur. A 60 000 euros les cinq années de scolarité, j’attendais plus. »
« Grandes généralités », « prof peu disponible », « rythme chill »… La dizaine d’élèves interrogés pour cet article l’affirme en chœur : ce qui marque leur expérience étudiante, ce ne sont pas tant les cours que les à-côtés (échanges universitaires, stages, réseau…). Selon le professeur, les enseignements peuvent même être franchement décevants. « C’est très inégal », confirme Amélie*, en première année de programme grande école (PGE) de l’Edhec.
Lire aussiPost-bac, post-prépa, bachelors… Les écoles de commerce, un secteur en pleine mutation
Journées dédiées aux associations, temps libre pour le sport, services dédiés au bien-être… Les écoles assument de leur côté cocooner leurs étudiants, certains essorés après deux ans de prépa, en ne chargeant pas trop les plannings. « Cela fait du bien de souffler », reconnaît un HEC en première année, qui n’a que 15 heures de cours par semaine, dont la moitié dans une université partenaire. « Cela me permet d’avoir un job étudiant, de m’engager dans l’associatif, de faire du sport », salue une autre, inscrite à l’Essca. « On a jamais été autant à leur écoute », affirme une professeure en poste depuis plus de vingt ans.
Les mêmes règles qu’à l’université
Pour autant, affirmer que la vie en école de commerce s’apparente au Club Med serait réducteur. Les contraintes académiques, notamment en matière d’heures de cours, existent. « Par souci d’équité vis-à-vis des formations publiques, les écoles de management sont soumises à des règles similaires exigeantes en matière de recherche, d’encadrement, de crédits ECTS (système européen de reconnaissance académique)… », insiste Mathilde Gollety, présidente de la Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion (CEFDG), qui leur donne l’autorisation de délivrer des diplômes de licence et de master.
Ce sont justement ces crédits ECTS qui permettent d’évaluer, discipline par discipline, la qualité comme la densité des programmes. Une licence correspond par exemple à 180 ECTS, dont un minimum de 1 500 heures d’enseignements plus des heures de travaux personnels. C’est ce qui est requis pour un bachelor en trois ans. D’après l’observatoire national de la vie étudiante (OVE), les élèves de business schools ont ainsi suivi, en 2023, 18 heures de cours par semaine en moyenne, moins que la moyenne nationale (à 20 heures) mais autant qu’à l’université. Un volume qui n’a presque pas bougé depuis au moins dix ans. Le temps consacré au travail personnel ayant lui en revanche légèrement reculé à 8 heures hebdomadaires depuis 2020 alors qu’il atteint 14 heures à l’université.
« Nous laissons aux écoles une marge de manœuvre car leurs formations mettent l’accent sur d’autres modalités pédagogiques comme les stages ou les échanges universitaires, qui développent des compétences intéressantes », précise Mathilde Gollety. « Si je n’ai pas cours les mercredis, c’est pour réaliser 70 heures de mission humanitaire qui comptent pour le diplôme », raconte par exemple Antoine, étudiant à l’EMLV.
Mais cette « marge de manœuvre » n’est pas un blanc-seing. En 2020, après avoir drastiquement réduit le volume d’heures de cours de son programme grande école, l’emlyon n’a obtenu le renouvellement de son grade de master que pour trois ans, au lieu de cinq habituellement. Si l’école a redressé la barre depuis, ce petit séisme a écorné son image et son rang dans les classements.
Une digitalisation accélérée
Ce pas de côté reste une exception. Les écoles ajustent d’ailleurs régulièrement leurs programmes aux remontées des étudiants et aux besoins des entreprises. A l’Iéseg, par exemple, « nous allons dès 2025 réintroduire un semestre de cours en deuxième année de master centré sur des matières transversales comme la transformation digitale pour renforcer les heures de cours et leur apporter d’autres compétences recherchées par les employeurs », annonce Robert Joliet, directeur du développement académique. « On applique sensiblement les mêmes rythmes partout, estime de son côté Sylvie Jean, directrice programmes, marketing et recrutement à Kedge Business School. Les emplois du temps ont en revanche été sacrément bousculés par le Covid qui a accéléré la digitalisation. »
Si les classes en présentiel sont redevenues la norme, les cours à distance simultanés en visio avec le professeur, ou asynchrones (consultables sur une plateforme online en autonomie), irriguent désormais de nombreux programmes. Selon l’OVE, près de 20 % des élèves d’écoles de commerce étudient en distanciel au moins la moitié du temps (contre 16 % à l’échelle nationale). « Sur notre plateforme, ils ont accès à des cours et des exercices maison (quiz de révision, vidéos…), ainsi qu’à une bibliothèque de modules de partenaires comme le Wagon, Datacamp ou LinkedIn learning », cite Loïc Plé, directeur de la pédagogie de l’Iéseg. Certains poussent loin le curseur, comme l’ESC Clermont, qui ouvre à la rentrée 2024 une version 100 % en ligne de programme grande école.
Signe que le sujet monte, la CEFDG exige depuis 2023 des garanties des écoles qui dépassent 20 % de cours à distance, tels que les moyens investis dans le digital, une équipe dédiée ou une bibliothèque numérique. A Neoma, par exemple, le distanciel peut représenter jusqu’à 30 % des cours. Plusieurs examens utilisant l’intelligence artificielle sont aussi totalement digitalisés. L’école a même créé trois cours 100 % en ligne en reprenant les codes des séries et jeux vidéo à travers des contenus scénarisés de plusieurs heures. « Des plages horaires leur sont dédiées dans les plannings. Cela offre plus de flexibilité et l’étudiant va à son rythme », vante Alain Goudey, directeur général adjoint en charge du numérique.
Optimisation des coûts
Ce ne sont pas les seuls avantages. Ces classes dématérialisées présentent aussi l’intérêt pour les écoles de changer d’échelle à taux d’encadrement constant. Amaury, étudiant à Neoma, en témoigne : « Je vais avoir une journée de cours en ligne de Digital literacy (compétences numériques) sans professeur. Tous les étudiants de troisième année des campus de Rouen et de Reims doivent le suivre. » A Kedge, 550 étudiants du bachelor en management sont aussi amenés à suivre en première année le même cours magistral en visio diffusé en simultané sur quatre campus.
« Avec nos innovations pédagogiques, nous réduisons aussi la durée de conception des cours pour les professeurs. Cela leur fait gagner énormément de temps, notamment pour la recherche », confirme Haithem Marzouki, directeur de la pédagogie innovante de Neoma. « Un des enjeux du développement digital, explique Laurent Batsch dans son rapport sur l’enseignement privé en France publié par le think tank Fondapol, réside dans l’opportunité qu’il offre d’augmenter le nombre d’inscrits, de réduire la pression immobilière, et d’optimiser le coût des intervenants. » L’ancien doyen de Paris-Dauphine apporte une nuance néanmoins : « La digitalisation représente elle-même un investissement important. Mais l’arbitrage entre son gain et son coût semble acquis. »
Le développement des modules asynchrones notamment constitue un coût d’entrée très conséquent. « Si on le fait seulement pour l’aspect financier, ce n’est clairement pas intéressant. Ce n’est ni moins cher, ni rapide, ni facile », confirme le directeur général adjoint de Neoma. A titre d’exemple, l’école s’appuie sur une équipe d’une vingtaine d’ingénieurs pédagogiques dédiés au développement de nouveaux formats.
Du côté des élèves toutefois, le vécu est mitigé. « Les cours en visio cassent le rythme, on travaille moins », tacle l’un d’eux. « Cela demande d’être organisé et concentré : une bonne préparation au monde du travail », salue un autre. « Même en présentiel, le rapport à la salle de cours a changé, soulève Sylvie Jean, qui vient de créer une cellule prospective sur ce sujet crucial de l’engagement et de la pédagogie. Coincer les étudiants 3 heures en classe, c’est devenu impossible, ils décrochent. On essaye de les embarquer différemment. Mais clairement, on rame tous. » Une professeure le confirme : « Le niveau d’attention n’a jamais été aussi bas. Parfois j’ai l’impression d’être une télé en fond sonore. »
*Les prénoms ont été modifiés
Le secteur privé hors contrat peu contrôlé
Si les grandes écoles de commerce françaises sont soumises à de lourds processus d’audit pour justifier de la qualité de leurs enseignements, la situation est très différente pour les écoles privées hors contrat. Seules celles qui proposent une formation en apprentissage sont obligées d’être certifiées « Qualiopi ». Un label qui atteste notamment de « l’adéquation des moyens pédagogiques, techniques et d’encadrement aux prestations mises en œuvre ». Pour l’obtenir, les établissements doivent fournir un certain nombre de preuves (calendriers des périodes de cours, CV des intervenants…). A noter : un titre inscrit au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) ne valide pas la qualité pédagogique, mais seulement les compétences acquises.