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Justice des mineurs

Grève de la protection judiciaire de la jeunesse : «L’éducatif doit primer sur le répressif»

Ce mercredi 14 août, l’intersyndicale de l’institution en charge des mineurs sous main de justice a appelé à la grève de ses agents pour dénoncer un plan social. Devant l’administration, les manifestants s’inquiètent de voir une hausse de la répression des jeunes.
Des agents de la protection judicaire de la jeunesse en grève pour «dénoncer la suppression de 500 postes de contractuels», à Paris, le 14 août. (Stéphane de Sakutin/AFP)
publié le 14 août 2024 à 21h05

Les couleurs vives des drapeaux et panneaux tranchent avec la mine inquiète des manifestants qui les brandissent. Devant le bâtiment grisâtre de l’administration centrale du ministère de la Justice, caché derrière les bassins de la Villette tout au nord du XIXe arrondissement de Paris, une trentaine de salariés de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) – en charge de 130 000 mineurs qui ont eu affaire à des tribunaux – agite en silence les drapeaux de la SNPES et de la CGT. Avec l’Unsa SPJJ et la CFDT, ces syndicats ont appelé à la grève ce mercredi 14 août pour «dénoncer la suppression de 500 postes de contractuels». Le taux de participation à la grève était de l’ordre de 13 %, selon l’administration.

Le 31 juillet, la direction nationale de la PJJ a annoncé un plan social pour réaliser entre 1,6 et 1,8 million d’euros d’économies. Quelque 500 contrats d’éducateurs, psychologues ou assistants sociaux pour la PJJ ne seront pas renouvelés après le 31 août. Devant l’administration de la Chancellerie, on prend des nouvelles. On se demande combien de contractuels ont été «brutalement virés» de leur unité éducative d’Ile-de-France. «A cause de cela, je dois assister à dix audiences en une semaine en septembre», lâche une éducatrice. «Comment ont réagi les gamins ?» s’enquiert un manifestant auprès d’une contractuelle non renouvelée. Une grimace fera office de réponse. Une nouvelle arrive toutefois à répandre un léger sourire sur la mine tirée des manifestants : «En Outre-Mer, les camarades sont en grève. Devant les directions territoriales de Lyon ou de Lille, il y a un rassemblement.» Quelques députés et sénateurs PS ont également apporté leur soutien aux grévistes de la PJJ, fustigeant une «décision irresponsable» du «gouvernement transitoire».

«Le volet éducatif de notre travail disparaît»

Une délégation de quatre représentants syndicaux pénètre dans le bâtiment pour rencontrer la directrice nationale de la PJJ, Caroline Nisand, et espère qu’elle entendra raison sur le dégel de 3 millions d’euros. La somme débloquée par Eric Dupond-Moretti le 6 août «devrait permettre de combler le déficit qu’on nous rabâche pour justifier les suppressions de postes», lâche avec amertume Mounia tenant fermement son drapeau CGT.

Au milieu de la poignée éparse de manifestants qui interrogent les employés du ministère en pleine pause clope, Nathalie tient fermement sa pancarte. Au recto, elle y a placardé un Petit Prince enfermé, au bord des larmes. Au verso, elle y a écrit «l’éducatif doit primer sur le répressif». «Cette phrase est au cœur de l’action de la PJJ, explique l’éducatrice, trente ans de carrière derrière elle, avant d’indiquer d’un geste de tête l’administration centrale. Mais force est de constater qu’ils l’ont oubliée.» «Avec ces suppressions de postes, c’est tout le volet éducatif de notre travail qui disparaît, abonde Julie, psychologue dans un foyer du Val-d’Oise. Il ne va rester que le législatif, la sanction et la détention.»

L’inquiétude est partagée par tous les manifestants. Sans contractuels, les équipes de terrains de la PJJ, les seules touchées par la restriction budgétaire, ne vont plus pouvoir prendre le temps de s’occuper «des gamins». «Normalement, entre le moment où le juge nous envoie un jeune et son audience de sanction, on doit le rencontrer plusieurs fois, échanger, construire un projet pour son avenir. Avec ces éléments, le juge est plus clément, poursuit Nathalie. Mais depuis l’adoption du code pénal de la justice pour les mineurs [adopté en 2021 et raccourcissant le temps judiciaire à neuf mois, ndlr], il arrive qu’on ne voie pas le gamin avant son audience de sanction. Forcément, le magistrat sanctionne plus sévèrement. Alors si on perd encore des camarades…»

«La répression n’est pas la solution»

«Notre travail va ressembler de plus en plus à celui effectué par les agents du Spip [service pénitentiaire d’insertion et de probation]. Vérifier l’application stricte des contrôles judiciaires, poser des bracelets électroniques ou faire des levées d’écrou», complètent deux jeunes éducatrices en milieu ouvert à Paris. Toutes deux débutent dans la profession. Elles sont passionnées, mais craignent déjà une perte du sens originel de leur emploi, déjà bien mis à mal par l’obsession de Gabriel Attal pour le retour de l’autorité contre les jeunes délinquants. «La répression n’est pas la solution. Mais quand il faudra placer des jeunes et qu’il n’y aura pas de place dans les foyers, car il n’y aura pas assez d’éducateurs ou de psychologues pour permettre à ces jeunes de s’insérer, ils seront placés en détention», avertissent-elles. Tant qu’elles le peuvent, elles continueront d’exercer. «Il faut qu’on continue à revendiquer les bienfaits de notre travail sur ces jeunes.»

Avant la sortie de la délégation syndicale, plusieurs manifestants ont étendu une bâche blanche sur le sol. Y est inscrit en rouge : «PJJ en grève.» Applaudis par la trentaine de mobilisés, les quatre représentants syndicaux prennent la parole sous les regards circonspects, presque moqueurs, de quelques agents du ministère en costume sortant déjeuner. Mais l’espoir d’une amélioration de la situation est vite désamorcé. «Caroline Nisand persiste et signe», plombe Marielle Hauchecorne, responsable au sein de SNPES. Les contractuels ne verront pas la couleur de ces 3 millions d’euros semble-t-il. «Mais ceux qui sont vraiment dans la misère pourront peut-être être renouvelés», poursuit l’élue de la CGT Aurélie Posadzki. Le groupe s’indigne. Quelques noms d’oiseaux fusent. La mobilisation reprendra dès la rentrée même si elle est suspendue après cette première journée pour assurer une continuité de service et «ne pas laisser les jeunes». Marielle Hauchecorne conclut son intervention par une hypothèse que la direction nationale a émise : «Les contractuels seront peut-être réembauchés après novembre», sans que cette date soit précisément expliquée. Bien insuffisant pour satisfaire l’assemblée. «Et pendant deux mois, les gamins, ils font quoi ?»

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