Exclusif

Opération sauvetage pour la mythique brigade financière de Paris

L’unité d’élite de la préfecture de police doit fusionner, d’ici l’été, avec une autre brigade en charge de la corruption. Un projet de réorganisation qui vise à remédier à la crise des vocations et aux difficultés de recrutements.

premium-iconArticle réservé aux abonnés
Comme le reste de la police judiciaire parisienne, la brigade financière est hébergée au "Bastion", juste à proximité du nouveau Palais de justice.

C’est un rideau de béton austère en forme de demi-lune, typique de l’architecture des années 1970. L’immeuble du 122, rue du Château des Rentiers, dans le 13e arrondissement de Paris, fut le siège de la célèbre brigade financière de la Préfecture de Police de Paris. De Bernard Tapie à Jean-Marie Messier en passant par le trader Jérôme Kerviel ou encore Alfred Sirven, l’homme des basses œuvres du pétrolier français ELF, des grands noms du business y ont défilé pendant quarante ans. Mais depuis le déménagement de la brigade Porte de Clichy, ces bureaux ont été transformés… en résidence pour seniors.

Certains y verront un mauvais présage pour l’avenir de cette unité d’élite mythique, qui risque de ne pas fêter son centième anniversaire, prévu en 2030. Du moins pas sous sa forme actuelle. Selon nos informations, la préfecture s’apprête à officialiser la fusion de la « BF » avec une autre brigade en charge de la corruption, au sein d’une nouvelle entité. Ce projet de réorganisation, qui doit aboutir d’ici l’été, vise à redonner du lustre aux « brigades du fric » parisiennes, qui souffrent d’un gros déficit d’attractivité.

L’âge d’or de la "BF"

Depuis 2017, la brigade financière est hébergée, avec le reste de la police judiciaire parisienne, au « Bastion », un bunker de verre et de béton posé près du nouveau Palais de justice. A l’entrée du bureau du chef, une vitrine remplie de vieilles coupures de presse rappelle les heures glorieuses du service, créé en 1930 par le préfet Jean Chiappe. On est juste avant l’éclatement de l’affaire Stavisky, du nom de ce célèbre financier responsable de l’escroquerie du Crédit municipal de Bayonne. C’est le premier grand dossier traité par la « BF », qui aboutit à la chute du gouvernement.

Le service fait alors partie des brigades renommées du « 36 quai des Orfèvres », situé sur l’Île de la Cité, avec la « Crim’ », les « Stups » ou la « Mondaine ». Elle quittera le siège historique de la PJ parisienne dans les années 1970 pour rejoindre d’abord le quai de Gesvres, puis le « Château des Rentiers ». Dans le contexte des privatisations et de la libéralisation des marchés financiers, l’unité se spécialise sur les infractions à la législation des sociétés et au droit boursier (abus de biens sociaux, délits d’initiés…). Mais elle traite, plus globalement, les dossiers sensibles impliquant des grands patrons ou des politiques.

C’est l’âge d’or du service. Les affaires médiatiques se succèdent, comme le raid manqué sur la Société générale ou le scandale Triangle-Pechiney. Suivent la tentaculaire affaire Elf, les ventes d’armes de « l’Angolagate », les emplois fictifs de la Mnef, la mutuelle étudiante proche du Parti socialiste, ou encore l’affaire Bettencourt. Dans les années 2000, la « BF » compte 90 enquêteurs et constitue le service phare de la sous-direction dédiée aux affaires économiques et financières, qui réunit désormais sept « brigades du fric ».

La crise

Mais la brigade va considérablement s’affaiblir au cours de la décennie suivante. En 2013, le scandale du compte suisse de Jérôme Cahuzac, pousse la police nationale à créer un office central spécialisé sur les infractions financières et fiscales, l’OCLCIFF. Des cadres de la « BF » quittent alors la préfecture pour rejoindre l’office basé à Nanterre, qui devient l’interlocuteur privilégié du nouveau parquet national financier. Second coup dur en 2015. Lors de l’affaire de délits d’initiés impliquant des dirigeants du groupe EADS, le Conseil constitutionnel juge non conforme le cumul de poursuites pénales et administratives. Dès lors, la justice va laisser l’Autorité des marchés financiers (AMF) mener la plupart des enquêtes boursières.

En plus de perdre ses meilleurs dossiers, la « BF » a aussi tendance à perdre en compétences. Comme le reste de la police judiciaire, elle peine à dénicher et fidéliser de nouvelles recrues, découragées par la complexité de la procédure pénale, les lourdeurs administratives et un manque de valorisation salariale. Les effectifs d’enquêteurs tombent à moins de 50. Sa voisine, la brigade de répression de la corruption et de la fraude fiscale (BRCF), qui devait fêter son vingt-cinquième anniversaire cette année, connaît les mêmes déboires et ne compte plus qu’une trentaine d’agents.

Mais, à l’inverse, la BRCF doit, elle, faire face à un afflux croissant de saisines du parquet national financier, qui lui confie souvent les affaires de corruption que l’OCLCIFF, lui-même noyé, n’a plus le temps de traiter. Elle mène notamment l’enquête sensible sur les liens entre le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, et l’armateur italien MSC. D’où l’idée de fusionner les brigades pour répondre aux besoins de la justice dans ce domaine. Resté à l’état de réflexion pendant des années, le projet s’est accéléré à l’automne dernier.

La réforme

La fusion est portée par Fabrice Gardon, nommé patron de la police judiciaire parisienne fin 2023. Ce proche du préfet Laurent Nuñez a été conseiller du ministre Gérald Darmanin, Place Beauvau. Il a notamment été l’un des principaux instigateurs de la grande réforme de la police nationale. La future « brigade financière et anticorruption » (BFAC) -qui garde symboliquement la référence à la "BF" dans son nouveau sigle…- serait pilotée par Sophie Robert, l’actuelle patronne d’une autre « brigade du fric », en charge de la « délinquance astucieuse » (escroqueries, abus de faiblesse…).

La nouvelle unité rassemblerait plus de 80 agents, avec l'objectif d'atteindre une centaine à la fin de l'année. Elle serait divisée en trois pôles de taille comparable : une première division anticorruption, ayant vocation à s’étoffer rapidement ; une seconde correspondant aux attributions historiques de la brigade financière en matière de pénal des affaires ; et une troisième venant en appui pour traiter certains dossiers de moindre niveau (abus de biens sociaux, fraude fiscale…). Guillaume Fauconnier, l’actuel patron de la BRCF, serait nommé chef adjoint de l’ensemble.

Que faire des délits boursiers ?

Pour les promoteurs du projet, il s’agit de créer un choc positif afin de redorer le blason des deux brigades : attirer de nouveaux enquêteurs, les dossiers financiers ayant perdu de leur prestige dans les milieux policiers et redevenir incontournable auprès de la justice. Les plus nostalgiques estiment, au contraire, que l’opération pourrait faire fuir les agents et signer la quasi-disparition de la brigade financière. Son chef Christian Mirabel rejoint un nouveau "département d’audit et performance", rattaché à l’état-major de la PJ.

Par ailleurs, l’abandon progressif du contentieux boursier à l’Autorité des marchés financiers pose question. Si l’AMF dispose d’enquêteurs plus nombreux et très compétents, elle n’a pas accès à certaines techniques policières (écoutes, filatures…). « Elle est aussi plus frileuse que la police lorsqu’il s’agit de s’attaquer à des acteurs importants de la place financière », juge un observateur. Un rapport parlementaire suggérait de la doter d’officiers de police judiciaire, qui pourraient mener des enquêtes pénales. Mais cette proposition, qui se heurterait à son statut d’autorité administrative indépendante et qui ne devrait pas ravir la PJ, est restée lettre morte.