
Formation des enseignants : les dilemmes du concours à bac +3
La réforme de la formation initiale des enseignants devrait entrer en vigueur à la rentrée, avec un concours de recrutement passant de la fin de master à la fin de licence. Ce qui suscite questions et inquiétudes profondes.

Pour une fois au sein du monde éducatif, tout le monde était d’accord : la formation initiale des futurs enseignants ne marche pas. « Quatre enseignants sur cinq se disent insuffisamment préparés à exercer leur métier », soulignait Elisabeth Borne, dans un entretien publié dans Le Monde le 29 mars dernier.
La veille, la ministre de l’Education nationale, aux côtés du Premier ministre François Bayrou, annonçait une réforme avec un important chamboulement : le…
Pour une fois au sein du monde éducatif, tout le monde était d’accord : la formation initiale des futurs enseignants ne marche pas. « Quatre enseignants sur cinq se disent insuffisamment préparés à exercer leur métier », soulignait Elisabeth Borne, dans un entretien publié dans Le Monde le 29 mars dernier.
La veille, la ministre de l’Education nationale, aux côtés du Premier ministre François Bayrou, annonçait une réforme avec un important chamboulement : le déplacement du concours de recrutement à la fin de la licence, autrement dit à bac +3. Depuis 2021 et la précédente réforme menée par Jean-Michel Blanquer, les concours se déroulaient en effet à la fin du Master, soit à bac +5.
Le chantier, entamé au printemps 2024 par Nicole Belloubet, avait été interrompu par les élections législatives anticipées. Le gouvernement a donc repris sa copie, dans l’objectif d’une mise en place dès… la rentrée 2025 ! Malgré ce calendrier très resserré, cette réforme soulève toujours autant d’interrogations, en particulier sur le positionnement du concours.
Alors concrètement, qu’est-ce que cela change de recruter les futurs enseignants à bac +3 ou à bac +5 ? « Cette question est bien plus complexe qu’elle n’y paraît car elle résume l’ensemble des dimensions de la formation initiale des enseignants », souligne Christophe Bonnet de la CFDT.
Une rémunération durant le master
Choisir c’est renoncer, et la place du concours n’échappe pas à cette règle. « Que ce soit en licence ou en master, ce positionnement a des répercussions au niveau qualitatif, puisque cela change les profils des candidats, mais aussi au niveau quantitatif, souligne Elisabeth Allain-Moreno du SE-Unsa. Plus le concours est placé tôt, plus les candidats sont nombreux. »
De fait, une étude publiée en 2019 par la fondation Jean Jaurès avait mis en évidence la corrélation entre la réforme de la mastérisation de la formation et la diminution des candidats aux concours de professeurs des écoles (CRPE).
« La mastérisation a conduit à une diminution du nombre de candidats de l’ordre de 50 % entre 2011 et 2013, et de l’ordre de 40 % entre 2014 et 2017 suite à l’assouplissement de la réforme en 2014 », écrivait alors l’économiste Mélina Hillion.
Elle soulignait par ailleurs que « les notes des enseignants aux épreuves écrites des concours ont également diminué de manière significative après l’introduction de la réforme », constatant ainsi que « l’exigence d’un niveau de qualification plus élevé n’a pas toujours un impact positif sur le recrutement ».
Reste que les syndicats se réjouissent du maintien, malgré l’avancement du concours, de la mastérisation. Seule Force ouvrière continue de militer contre cette organisation de la formation, revendiquant une titularisation à bac +3 suivie d’une formation professionnelle sous statut de fonctionnaire à temps plein.
« Les enseignants sont le seul corps des fonctionnaires de catégorie A dont on exige qu’ils aient un master. Même les inspecteurs de l’Education nationale ne sont pas soumis à cette obligation », s’indigne Christophe Lalande, secrétaire général adjoint de la Fnec-FP FO.
Toutefois, il reconnaît, comme ses confrères, l’avancée que représente un recrutement en amont, qui permet de suivre son master en étant rémunéré en tant que fonctionnaire stagiaire, à hauteur de 1 400 euros mensuels en M1 et 1 800 euros en M2.
Cette formation en cinq ans tend à devenir la norme en Europe. En 2018, les détenteurs d’un baccalauréat (ou diplômes équivalents) représentaient 4,5 % du corps enseignant à l’échelle de l’UE, contre 38 % de titulaires d’une licence et 55 % de titulaires d’un master, selon l’enquête Talis.
Toutefois, « pour parler du niveau de recrutement ou de sélection, les comparaisons internationales sont difficiles, estime Christophe Bonnet. Le système français a ses particularités avec l’entrée dans la fonction publique par concours. Dans la plupart des autres pays, les enseignants sont recrutés à la fin de leurs études, soit par les collectivités soit directement par les établissements. »
Une baisse du niveau de recrutement ?
Mais placer le concours plus tôt signifie-t-il une diminution des exigences ? C’est l’inquiétude de treize organisations et associations d’enseignants du second degré qui, dans un communiqué commun en date du 9 mai1, estiment que les contenus des épreuves de concours « confirment l’abaissement de l’exigence de maîtrise disciplinaire et l’absence de tout questionnement didactique ».
« Par provocation, on dit que ce concours sera à bac +2,5, raille Sophie Vénétitay du Snes-FSU, principal syndicat dans le second degré. Les étudiants passeront la majorité de leur troisième année de licence à préparer le concours, parfois au détriment de leur formation universitaire. »
Cette inquiétude est particulièrement ressentie par les enseignants dont la matière est pluridisciplinaire, comme les sciences et vie de la terre ou les sciences économiques et sociales.
« Notre matière implique d’avoir des connaissances solides en économie, en sociologie mais aussi en mathématiques », explique Emmanuelle Caley, membre de l’Apses.
« Jusque-là, les étudiants venaient d’une licence disciplinaire et le master permettait de combler les manques ou lacunes disciplinaires. De fait, qu’ils viennent d’une licence d’économie ou de sciences politiques, ils passaient le même concours. Avec la réforme, les sujets du concours comportent une majeure et une mineure selon leur parcours d’origine. Autrement dit, le niveau d’exigence ne sera pas le même », poursuit-elle.
Tous les syndicats, toutefois, ne partagent pas cette inquiétude. Pour le SE-Unsa, cet argument repose sur une « image erronée du métier ». « Le niveau de la licence assure un niveau minimum, d’autant que les deux ans de master permettront de continuer à consolider et approfondir les connaissances disciplinaires », estime Elisabeth Allain-Moreno.
Equilibre difficile à trouver
Mais les dernières annonces du gouvernement ne vont pas dans le sens des organisations syndicales. Le 15 mai, celles-ci ont découvert le projet de cadrage des futurs masters M2E (Enseignement et Education) qui remplaceront les actuels masters Meef, et dénoncé d’une voix unanime cette fois une place trop importante accordée aux stages, au détriment de la formation.
« L’année de M2 se fera à moitié en stage en responsabilité, c’est-à-dire devant les élèves, explique Guislaine David du Snuipp-FSU. Nous sommes favorables à une entrée progressive dans le métier, c’est-à-dire en inscrivant des périodes sur le terrain durant la formation, mais là c’est trop lourd ! D’autant que durant ces 18 semaines, les étudiants ne seront pas disponibles pour les enseignements universitaires. »
Alain Frugière, président du réseau et à la tête de l’Inspé de Paris, insiste sur la mise en place d’une vraie « formation continuée »
Entre exigence disciplinaire et professionnalisation, c’est là tout l’équilibre à trouver quant à la formation initiale des enseignants et la place du concours. Mais pourquoi ne pas regarder par-delà les deux années de Master, questionne le réseau des Inspé. Alain Frugière, président du réseau et à la tête de l’Inspé de Paris, insiste sur la mise en place d’une vraie « formation continuée » avec un accompagnement et une formation qui se poursuit durant les trois premières années de carrière, le tout « sans oublier l’enjeu que représente la formation continue. »
Pour les Inspé comme pour les syndicats, les réformes se suivent. Depuis 1989, l’architecture de la formation initiale a été modifiée pas moins de cinq fois. Et la dernière réforme, mise en place en 2021 par Jean-Michel Blanquer, aura eu une durée de vie de moins de cinq ans.
« À chaque fois, on a l’impression de courir après le train des annonces du gouvernement, déplore Emmanuel Caley. C’est le temps politique qui prévaut, et du coup, le temps manque pour discuter sérieusement de ce sujet et de ce que cela implique. Avec les autres associations et organisations, nous demandons un moratoire de la réforme actuelle afin de prendre le temps nécessaire. »
D’ailleurs, aucune des précédentes réformes n’a fait l’objet d’un bilan avant d’être abrogée, constate l’enseignante.
- 1. signé par le Snes-FSU, le Snuep-FSU, le Snep-FSU, le Snesup-FSU et la CGT Educ’Action, l’Association des Anciens des Écoles de Transmissions, l’Association des professeurs de langues vivantes, l’Association des professeurs de biologie et géologie, l’Association des professeurs documentalistes de l’éducation nationale, l’Association des professeurs de sciences économiques et sociale, le collectif Aggiornamento, la Fédération des enseignants de langue et culture d’occitan et l’Union des professeurs de physique et de chimie.